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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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première
maîtresse, qu’elle avait aimé avec docilité, puis qu’elle avait haï avec
persévérance, Eudeline n’éprouvait rien. Elle ne pensait ni à lui, ni à
elle-même. Il semblait que ses souvenirs fussent morts avant celui qui les
avait créés. Toutes ses forces d’émotion étaient tournées vers la reine, son
amie. Et si Eudeline souffrait en cet instant, c’était de la souffrance de
Clémence.
    La reine traversa la chambre,
s’appuyant d’un côté au bras d’Eudeline, de l’autre au bras de Bouville.
    En apercevant ce dernier, Tolomei,
toujours dans l’encadrement de la porte, se rappela soudain ce qu’il était venu
faire.
    « En vérité, ce n’est guère le
temps de parler à Bouville, pensa-t-il. Et les deux Cressay sont sans doute
chez moi, à l’heure qu’il est. Ah ! cette mort tombe bien mal. »
    À ce moment, il fut bousculé par une
masse puissante ; la comtesse Mahaut, manches retroussées, se frayait un
passage. Si grande était son autorité que, en dépit de la disgrâce qui la
frappait, nul ne s’opposa à son approche ni même ne s’étonna de la voir là,
venant reprendre sa place de proche parente et de pair du roi.
    Elle avait composé son visage pour
lui donner l’expression de la stupeur et de l’affliction.
    Du seuil, elle murmura, mais bien
distinctement, pour que dix personnes au moins l’entendissent :
    — Deux en si peu de
temps ! C’est vraiment trop. Pauvre royaume !
    Elle avança de son pas de soldat
vers le groupe où se tenaient Charles de la Marche, Robert d’Artois et Philippe
de Valois.
    Mahaut tendit à Robert les deux
mains, en lui faisant signe des yeux qu’elle était trop émue pour parler et que
toute dissension, un tel jour, s’oubliait. Puis, elle alla choir à genoux près
du lit royal et, d’une voix brisée, dit :
    — Sire, je vous supplie de
m’accorder pardon pour les peines que je vous ai causées.
    Louis la regarda ; ses gros
yeux glauques étaient entourés des cernes profonds de la mort. On était
justement en train de changer son bassin, au vu de tous ; dans cette
inconfortable position, tâchant à garder empire sur lui-même, il prenait pour
la première fois un peu de véritable majesté et quelque chose, enfin, de royal,
qui lui avait manqué toute sa vie.
    — Je vous pardonne, ma cousine,
si vous vous soumettez au pouvoir du roi, répondit-il quand on lui eut glissé
sous le siège un nouveau bassin.
    — Sire, je vous en fais
serment ! répondit Mahaut.
    Et plus d’une personne, dans
l’assistance, fut sincèrement bouleversée de voir la terrible comtesse courber
l’échine.
    Robert d’Artois plissa les paupières
et laissa tomber dans l’oreille de ses cousins :
    — Elle ne jouerait pas mieux,
si c’était elle qui l’avait tué.
    Le Hutin fut saisi d’un nouvel accès
de coliques et porta les mains au ventre. Ses lèvres découvrirent ses dents
serrées ; la sueur coulait de ses tempes et lui collait les cheveux le
long des joues. Après quelques secondes, il dit :
    — Est-ce donc cela
souffrir ? Est-ce donc cela…
     

XI

TOLOMEI PRIE POUR LE ROI
    Lorsque Tolomei, au milieu de
l’après-midi, rentra chez lui, son premier commis vint aussitôt l’avertir que
deux gentilshommes de campagne l’attendaient dans l’antichambre de son cabinet.
    — Ils ont l’air fort
courroucés. Ils sont là depuis none, sans avoir rien mangé, et disent qu’ils ne
bougeront point qu’ils ne vous aient vu.
    — Oui, je suis au courant,
répondit Tolomei. Fermez les portes et appelez dans mon cabinet tous les gens
de la maison, commis, valets, palefreniers et servantes. Et qu’on se
hâte ! Tous en haut.
    Puis il monta lentement l’escalier,
prenant un pas de vieillard accablé par le malheur ; il s’arrêta un moment
sur le palier, écoutant le branle-bas que ses ordres provoquaient à travers la
banque ; il attendit que les premières têtes fussent apparues au bas des
marches, et enfin pénétra dans son antichambre en se tenant le front.
    Les frères Cressay se levèrent, et
Jean, le barbu, marchant à lui, s’écria :
    — Messer Tolomei, nous sommes…
    Tolomei l’arrêta d’un geste du bras.
    — Oui, je sais ! dit-il
d’une voix gémissante ; je sais qui vous êtes, et je sais aussi ce que
vous venez me dire. Mais ceci n’est rien auprès de ce qui nous afflige.
    Comme l’autre voulait poursuivre, il
se retourna vers la porte et dit au personnel qui commençait à

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