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Les Poisons de la couronne

Les Poisons de la couronne

Titel: Les Poisons de la couronne Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Druon
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n’engageaient guère leur
responsabilité.
    Parmi les seigneurs de la cour, on
se confiait à mots couverts l’affaire de l’envoûtement, en prenant l’air d’en
savoir plus long qu’on n’en disait. Et puis, déjà on agitait d’autres
problèmes. Qui allait prendre la régence ? Certains regrettaient que
Monseigneur de Poitiers fût absent, d’autres au contraire s’en louaient. Le roi
avait-il exprimé des volontés formelles à ce sujet ? On l’ignorait. Mais
il avait appelé le chancelier pour lui dicter un codicille complétant ses
dispositions testamentaires.
    Avançant à travers cette agitation
feutrée, Tolomei put parvenir jusqu’au seuil même de la chambre où le souverain
agonisait entre ses chambellans, ses serviteurs, et les membres de sa famille
et de son Conseil.
    Se hissant sur la pointe des pieds,
le chef des banques lombardes put apercevoir, par-dessus un mur d’épaules,
Louis X, le buste soutenu par des coussins, et dont le visage creusé,
réduit de moitié, portait les stigmates de la fin. Une main à la poitrine,
l’autre au ventre, les mâchoires serrées, il gémissait.
    On chuchota :
    — La reine, la reine… le roi
demande la reine…
    Clémence était assise dans la pièce
voisine, entourée de ses dames de parage, du comte de Bouville et d’Eudeline,
la première lingère, dont elle tenait la main. La reine n’avait pas dormi un
instant de toute la nuit. Le désespoir et l’insomnie lui étreignaient les tempes,
tandis que Monseigneur de Valois, s’agitant devant elle, lui disait :
    — Ma chère, ma bonne nièce, il
faut vous préparer au pire.
    « Mais j’y suis préparée,
pensait Clémence, et n’ai point besoin de lui pour le savoir. Dix mois de
bonheur, était-ce donc tout ce à quoi j’avais droit ? Peut-être n’ai-je
pas assez remercié Dieu de me les avoir accordés. Le pire n’est pas la mort,
puisque nous nous retrouverons dans la vie éternelle. Le pire est pour cet
enfant qui va naître dans cinq mois, que Louis n’aura pas connu, et qui ne
connaîtra son père que lorsqu’il arrivera lui-même dans l’Au-delà. Pourquoi
Dieu permet-il cela ? »
    — Reposez-vous sur moi, ma
nièce, de toutes les tâches et difficultés, et songez seulement que vous portez
en vos flancs les espoirs du royaume. Votre état ne vous permet guère d’assumer
la tâche de régente ; et puis les Français souffriraient mal d’être
gouvernés par une main de femme étrangère. Blanche de Castille, me
direz-vous ?… Certes, certes, mais elle était reine depuis un plus long
temps. Nos barons n’ont point encore assez appris à vous connaître. Je dois
vous décharger des soins du trône, ce qui ne me changera guère, au fond…
    Le chambellan, qui venait dire à la
reine que le mourant la demandait, entra à cet instant ; mais Valois
l’arrêta du geste, et poursuivit :
    — Je n’ai guère de mérite à me
proposer ; je suis seul à pouvoir utilement régenter. Et je saurai,
soyez-en assurée, inspirer aux Français l’amour qu’ils doivent à la mère de
leur prochain roi, si Dieu nous fait la grâce que vous attendiez un fils.
    — Mon oncle, s’écria Clémence,
Louis respire encore. Veuillez plutôt prier pour qu’un miracle le sauve, ou
différez au moins vos projets jusqu’à son trépas. Et plutôt que de me retenir
ici, laissez-moi regagner ma place, qui est auprès de sa couche.
    — Certes, ma nièce,
certes ; mais il est quand même des choses auxquelles il faut penser
lorsqu’on est reine. Nous ne pouvons point nous abandonner aux douleurs du
commun. Louis, dans son codicille, vous a fait tout à l’heure de grandes
donations ; il a généreusement attribué diverses pensions, dont une même à
Louis de Marigny, qui vont un peu plus obérer le Trésor. Mais il n’a pris nulle
disposition relativement à la régence…
    — Eudeline, ne m’abandonne pas,
murmura la reine en se levant.
    Et à Bouville, tandis qu’elle se
dirigeait vers la chambre du roi :
    — Mon ami Hugues, mon ami
Hugues, je ne puis pas y croire ; dites-moi que cela n’arrivera pas !
    C’en était trop pour le brave
Bouville qui se mit à sangloter.
    — Quand je pense, quand je
pense, disait-il, qu’il m’a envoyé à Naples vous quérir !
    Plus étrange était l’attitude
d’Eudeline. La lingère ne quittait pas la reine, qui s’adressait à elle pour
toutes choses. Devant l’agonie de l’homme dont elle avait été la

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