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Les proies de l'officier

Les proies de l'officier

Titel: Les proies de l'officier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Armand Cabasson
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tête.
    — Nous étions à Auerstaedt.
    — C’est exactement la même chose, non ? Le même jour, deux batailles entre les Français et les Prussiens alliés aux Saxons et ce, avec le même résultat : une victoire totale des Français. Qu’on ait été à Iéna ou à Auerstaedt, en Prusse, on pleure chaque année le 14 octobre. Moi, j’étais à Iéna. Régiment Beviloqua, brigade von Dyhern, division d’infanterie saxonne von Zeschwitz I er . Vous nous avez écrasés, massacrés, décimés... Non, vous avez fait pire encore.
    Il eut un sourire triste et ajouta :
    — Vous disiez que je parlais bien votre langue, mais je ne trouve même pas le terme exact pour décrire ce que vous nous avez fait subir.
    — « Laminés », proposa aimablement Saber.
    Von Stils se retourna brusquement vers lui. Margont nota que le Saxon retenait plus facilement sa soif que sa colère alors que lui-même était plus doué pour l’inverse.
    — Vous nous avez laminés, reprit le Saxon en insistant sur ce dernier mot. Tout s’est passé si vite... Comment peut-on perdre une guerre aussi rapidement ? Jouez-vous aux échecs ?
    — Peu souvent, mais l’une de mes connaissances, oui..., répondit Margont.
    — Eh bien ce fut exactement comme le coup du berger. La partie vient de commencer quand l’adversaire vous annonce que vous êtes échec et mat. Nous étions vaincus, humiliés et écoeurés. Je me souviens d’avoir envié mes camarades qui avaient été tués. Pour oublier ce désastre, je me suis fait verser dans la cavalerie. J’ai quitté celle que j’aimais, cessé de voir mes amis, abandonné mes études d’avoué, changé de coupe de cheveux, déménagé... On aurait dit que tout ce qui appartenait au passé était maudit. En fait, finalement, je suis peut-être bel et bien mort à Iéna. Pauvre Louisa, elle n’a jamais compris. Bref, je vous avoue que sur cette route de Paris à Moscou, j’ai l’impression d’aller dans le mauvais sens. On me dit de crier : « Vive l’Empereur ! » là où je voudrais hurler : « Feu à volonté ! » Décidément, le jeu des alliances politiques est bien trop subtil pour mon sens patriotique. Mais j’obéirai aux ordres, je me battrai avec bravoure. Et, comme mon roi, je prie pour que Napoléon nous jette des miettes de territoires à la fin de son festin russe. Cependant vous m’excuserez si ma compagnie n’est pas des plus joviales. Ma bonne humeur légendaire a été... laminée.
    Margont pardonna à von Stils sa prestance hautaine. Quand on perd le fond, on se rattache à la forme. Ils rencontrèrent une vingtaine de lanciers polonais qui escortaient des prisonniers russes. Von Stils regardait ces derniers avec pitié. On aurait dit qu’il était l’un des leurs.
    — Les cosaques ! Les cosaques ! hurla soudain Saber en s’élançant au galop.
    Margont et von Stils dégainèrent d’un même élan tandis que les visages des Polonais se tournaient dans leur direction. Saber fendait la plaine, sabre au clair, sans s’apercevoir qu’un seul lancier l’avait suivi dans sa charge. Loin de là, à l’orée d’une forêt, trois cosaques les contemplaient. Tous étaient armés de lances, leur meilleure arme, leur étendard, leur signature et, plus encore, un membre supplémentaire. Lorsque Saber eut parcouru les trois quarts de la distance, ils disparurent sous le couvert des arbres.
    — Il s’est fait laminer, déclara von Stils.
    — « Ridiculiser » serait plus exact.
    Saber se résigna à tourner bride. Ivre de rage, il gesticulait, son sabre encore à la main.
    — Ah, les bâtards ! Les fils de cochons ! Ce ne sont pas des soldats, ce sont des pitres !
    Margont désigna son fourreau pour l’inviter à rengainer avant de blesser quelqu’un. Saber crut qu’on lui indiquait d’autres cosaques et fit faire demi-tour à son cheval. Il se retourna, plus excédé encore.
    — Ils me narguent depuis le bois ? C’est ça, hein ? Maudite soit la peste cosaque ! Pourquoi filent-ils sans arrêt comme des moineaux ? Quel est l’intérêt ?
    — Demande donc à ton cheval, même lui connaît la réponse, le coupa Margont.
    La pauvre bête s’était immobilisée. La bouche ouverte, les naseaux frémissants, elle tentait de recouvrer son souille. Ce genre d’efforts répétés la tuerait avant peu. Saber s’avérait impossible à calmer.
    — Ce ne sont pas des soldats, mais des miliciens ! Non, ce ne sont même pas des

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