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Les proies de l'officier

Les proies de l'officier

Titel: Les proies de l'officier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Armand Cabasson
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hommes, ils sont trop sauvages. Toujours à galoper en hurlant comme des bêtes. Des centaures ! Des centaures rescapés du fin fond des âges ! Pourquoi ne m’avez-vous pas suivi, hein ? J’exige une réponse !
    Von Stils caressa l’encolure de sa monture.
    — J’appartiens à la cavalerie lourde. Nos chevaux sont plus puissants, mais moins endurants. Ils sont faits pour charger en ligne, pas pour ce genre de poursuites.
    — Arguties ! Arguties ! s’exclama Saber avec le ton triomphant de l’avocat qui vient de démasquer un faux témoignage.
    — Irénée, reprends-toi.
    — Et vous, capitaine Margont ? Le prétexte de votre inertie ?
    — J’ai passé l’âge d’aller jouer à cache-cache dans les bois.
    Saber inclina la tête.
    — Messieurs, permettez-moi de prendre congé.
    Sur ce, il éperonna son cheval pour le lancer au galop, mais celui-ci, affaibli, se contenta d’un trot rapide.
    — Pourquoi votre ami hait-il les cosaques à ce point ? interrogea von Stils.
    — Le lieutenant Saber est très chevaleresque et les coups de main des cosaques s’opposent à ce que doit être, selon lui, un héroïque face-à-face militaire. Alors comme en plus, les cosaques poussent le mauvais goût jusqu’à remporter des succès...
    — Il est vrai que les militaires français détestent être battus par des paysans en guenilles. Cela remonte à la bataille d’Azincourt.
    — Iéna, les cosaques, Azincourt : et si nous cessions de parler de guerres ?
    Von Stils hocha lentement la tête.
    — Avec plaisir.
    Il se lança alors dans un vaste discours sur la Saxe. Il décrivit son pays avec minutie et méthode, comme un expert analysant la toile d’un maître. Cependant, son chauvinisme faussait les couleurs. Les rivières devenaient d’une limpidité de cristal, les villes étaient les plus belles du monde, le peuple saxon possédait toutes les qualités existantes et quelques autres encore, les forêts inspiraient les poètes, on n’avait pas réellement vécu si l’on n’avait jamais visité la Saxe... Margont l’écoutait avec attention et l’interrompait pour lui poser des questions. Il préparait le moment où il tenterait d’en apprendre plus sur Fidassio. Les deux hommes rejoignirent une soixantaine d’artilleurs encadrés par de rares lanciers polonais. Depuis quelques jours, des pluies diluviennes s’étaient succédé, transformant la route en un vaste bourbier. Un canon s’était enlisé dans une ornière et huit servants tentaient de le dégager. Les soldats forçaient tant et plus, les uns, penchés en avant, poussant de tout le poids de leur corps, les autres tirant sur les roues à s’en arracher les ligaments. Les chevaux de l’attelage faisaient eux aussi tout leur possible. Mais le canon s’entêtait. Et on pliait les genoux, on suait, on jurait, on bloquait son souffle... en vain. Margont se dit que l’armée tout entière était pareille à ce canon, embourbée jusqu’aux mollets et s’échinant malgré tout à continuer à avancer. Le visage de von Stils affichait à nouveau un air à la fois suffisant et mélancolique. Il contemplait les pièces d’artillerie.
    — Les fameux canons Gribeauval. Leurs gueules ont soufflé plus d’une armée ennemie.
    Margont s’approcha d’un capitaine qui dépoussiérait nerveusement sa veste.
    — Où est donc votre escorte ?
    — Les Polonais ? Ah, par Dieu ! Un bon tiers a déserté, un deuxième tiers est en vadrouille en quête de nourriture et ceux qui restaient sont partis à la chasse aux cosaques par là-bas, répliqua l’artilleur en désignant d’un geste vague un bois qui se trouvait au loin.
    — Que font donc ces lanciers polonais avec le 4 e corps ?
    — Et alors ? Vous êtes bien avec un garde du corps saxon, vous ! Leur chef d’escadrons a été blessé à Smolensk. Ses hommes sont restés avec lui et, maintenant qu’il est rétabli, ils tentent de rejoindre leur régiment. Quel foutu bordel que cette campagne, pas vrai ?
    — Vous vous exposez à...
    Margont n’acheva pas sa phrase. Une clameur retentissait dans la plaine. « Hourra ! » Trois cents cosaques avaient surgi d’un bois et déferlaient sur eux. Ils étaient vêtus de tuniques noires ou bleu marine. Les quelques Polonais présents s’élancèrent au-devant de ceux qu’ils considéraient comme leurs ennemis héréditaires. Arborant eux aussi des uniformes bleu marine, il était difficile de les distinguer de

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