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Les proies de l'officier

Les proies de l'officier

Titel: Les proies de l'officier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Armand Cabasson
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1.
    Bizarrement, ses mains ne tremblaient pas. L’homme contemplait le cadavre de la servante avec laquelle il discutait quelques instants plus tôt. Sa victime, pitoyable corps sanglant et mutilé, était bien réelle. Mais il la fixait avec aussi peu d’émotion que s’il s’était agi d’une poupée brisée. Ce qui le mettait mal à l’aise, ce n’était pas d’avoir assassiné, mais de ne pas ressentir de culpabilité. Par ailleurs, cette tranquillité contrastait avec le trouble intense qui l’avait envahi tandis qu’il poignardait cette femme encore et encore.
    Il se leva si précipitamment que sa chaise faillit basculer. Le temps jouait contre lui. L’hôtelier ou l’un de ses employés finirait bien par frapper à la porte afin de réclamer de l’aide pour le service. L’homme savait qu’il devait sortir de sa torpeur. Ses chaussures, son pantalon, sa chemise, ses cheveux : tout était couvert de sang. Il n’avait pu se nettoyer le visage et les mains qu’en partie et des traces restaient visibles. Impossible de prendre le risque de croiser un client dans le couloir. Et comment aurait-il pu traverser la grande salle du rez-de-chaussée sans être interpellé par l’un des fantassins occupés à manger, à se soûler, à fumer, à bavarder et à suivre du regard les serveuses jusqu’à s’en tordre le cou ? Lorsqu’il était venu dans cette chambre, il ne savait pas qu’il allait tuer cette femme. Il réalisait à présent qu’il était piégé. Il décida donc de fuir par la fenêtre.
    La chambre se trouvait au troisième étage, sous les toits. Il avait plu durant toute la soirée, mais de lourds nuages persistaient et dissimulaient la lune. La nuit noire lui offrait des chances raisonnables de ne pas être aperçu par les nombreux soldats qui allaient et venaient dans les rues. Il ouvrit la fenêtre et jeta un prudent coup d’oeil en contrebas. Trois fantassins se poussaient en titubant et en riant. Ailleurs, des Italiens se disputaient avec des Français sans qu’aucun des deux groupes entende ce que disait l’autre. Le 4 e corps de l’armée française campait à proximité, aussi ce bourg et tous les villages avoisinants avaient-ils été envahis par des militaires. Comme un hussard lancé en pleine charge, l’homme tenta le tout pour le tout. Une capote grise de simple soldat dissimulait sa chemise maculée de sang. Il monta sur le rebord de la fenêtre et se hissa à la force des bras sur l’avancée des tuiles. De là, il gagna sans mal le sommet et, se déplaçant prudemment à genoux, il vint se tapir contre la large cheminée de pierre. Et maintenant ? Aucun appui ne lui permettait de redescendre. De toute façon, cela lui était interdit pour le moment. Il demeura un instant caché dans les ténèbres. La rue, elle, semblait appartenir à un autre monde. Elle baignait dans la lumière et l’animation. Les auberges et les particuliers qui souhaitaient accueillir des soldats avaient disposé lanternes et bougies à leurs fenêtres. Des militaires arrivaient sans discontinuer des alentours en s’éclairant avec des torches. La campagne était couverte de ces feux follets impatients. Pas un troupier sur dix ne possédait une autorisation de déplacement en règle, mais ceux qui étaient censés les ramener dans leurs tristes campements faisaient la fête avec eux. L’homme examina le toit suivant. Il en était séparé par une ruelle, mais pouvait l’atteindre d’un bond. Il se leva, contourna la cheminée et s’élança dans le vide. Il trébucha sur l’autre cheminée et tomba en avant, mais parvint à se rattraper à l’arête du toit. Quelques tuiles glissèrent autour de lui puis s’immobilisèrent à mi-pente. Il se rétablit et reprit sa progression. Il se pressait et s’efforçait de ne pas penser à l’abîme qui s’était ouvert en lui dans cette chambre, à ce gouffre qu’il avait à peine entrevu. La maison contiguë possédait un toit un peu moins pentu. Les minutes s’écoulaient et il n’avait réussi qu’à parcourir quelques mètres. Il décida de forcer sa chance, se mit debout et avança, les bras écartés et le pas mal assuré, tel un funambule jouant avec ses limites. Heureusement pour lui, l’arête du toit avait la largeur d’une tuile et cela suffisait. Rapidement, il s’habitua à cet exercice périlleux et força l’allure. Il dépassa ainsi deux demeures, grimpa sur un toit surélevé, bondit par-dessus une seconde ruelle

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