Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les proies de l'officier

Les proies de l'officier

Titel: Les proies de l'officier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Armand Cabasson
Vom Netzwerk:
grande taille. Mais voici ce qu’a sculpté le cordonnier que j’ai trouvé.
    Margont examina l’objet. Il leva un pied et appliqua cette semelle contre celle de son soulier. Cette dernière était plus longue de trois centimètres.
    — C’est pas vous, constata Lefine.
    — Donc en résumé, notre homme appartient au 4 e corps d’armée – puisque les autres corps sont bien trop éloignés de Tresno –, il est athlétique et possède une expérience du corps à corps. Il est officier, mesure entre un mètre soixante-dix et un mètre quatre-vingt-cinq et nous connaissons sa pointure. Il est droitier. Enfin, c’est un « prince charmant ». Combien de suspects nous reste-t-il ?
    Lefine leva le menton.
    — Disons... quatre cents ?
    — Impossible de se renseigner discrètement sur l’emploi du temps de quatre cents personnes durant la nuit du meurtre, surtout quand ces quatre cents-là sont noyées dans une masse de quarante-cinq mille.
    Il fixait la semelle en bois.
    — Le « prince charmant » ne nous a laissé que cela, telle une Cendrillon criminelle. Mais je doute que ce soit suffisant pour le retrouver.
    Le soleil avait presque disparu et les ombres envahissaient les plaines et les forêts. Les zones encore éclairées possédaient des frontières mouvantes et se réduisaient irrémédiablement. L’homme contemplait ce spectacle avec fascination. Depuis peu, il lui semblait que son esprit subissait un phénomène similaire. Des idées noires recouvraient lentement ses certitudes et ses projets d’avenir.
    Les gens qu’il avait tués – que ce soient des ennemis au combat ou les autres, telles cette Polonaise ou la sentinelle qui avait failli le piéger – avaient fini par lui révéler quelque chose. Ou plutôt quelqu’un : lui.
    Toute la journée, il avait revécu sa soirée avec Maria, ne se lassant pas de surcharger ses souvenirs d’une multitude de détails : les phrases échangées, la décoration de la pièce, les ombres rendues tremblotantes par les vacillements des flammes des bougies, le visage joyeux de Maria tandis qu’ils trinquaient... Un détail, en particulier, l’avait amusé : chaque fois que Maria rougissait, elle se recoiffait aussitôt de la paume de la main. Cela lui avait plu car il avait mis ce geste sur le compte d’une timidité feinte. Lorsqu’elle l’avait reçu dans sa chambre, il était persuadé qu’elle allait se donner à lui. Mais Maria voulait seulement l’entendre une fois de plus lui jurer son amour. Elle avait refusé de lui céder et, subitement, il avait eu envie de la faire souffrir. Cela lui avait plu au-delà de toute expression.
    Et aujourd’hui, en regardant ses soldats – ces rangs dont il était si fier autrefois, ces corps serrés les uns contre les autres dont l’impact était irrésistible, cette masse dense, sombre et farouche hérissée de fusils –, il n’avait pensé qu’au sang qui coulait en eux. Il les avait
imaginés dépouillés de leurs os et de leur chair pour en faire des êtres uniquement constitués d’un complexe réseau de vaisseaux aux ramifications incalculables. Comme si tout ce qui comptait pour lui désormais, c’était le sang. Était-il devenu un monstre ? Cette question l’obsédait. Il y en avait sûrement d’autres comme lui. Combien étaient-ils à s’être enrôlés dans cette armée pour le seul plaisir de voir couler le sang ? S’il venait à croiser l’un de ces prédateurs, le reconnaîtrait-il ? Et ce dernier le démasquerait-il ?
    Il abaissa les yeux sur ses pistolets d’arçon aux crosses ouvragées. Il suffisait d’une flexion de l’index et sa vie s’arrêterait ici...
    Il avait l’impression d’être un esquif à la dérive. Petit à petit, un cap se profilait. Mais lequel exactement ?

 
    8.
    Lefïne dormait d’un profond sommeil lorsqu’il se sentit tanguer en tous sens. Une lueur l’éblouit. La flamme d’une bougie. Quelqu’un le secouait. Il ouvrit les yeux et reconnut le visage de Margont.
    — Réveille-toi, Fernand, j’ai eu une idée.
    Margont parlait d’une voix étouffée à l’impatience mal contenue. Sous la tente étaient étendus plusieurs sous-officiers. Une forme enroulée dans une couverture bascula du flanc droit sur le flanc gauche tout en grommelant.
    — Ça y est ? Tu es réveillé ? Habille-toi. Je t’attends dehors.
    Lefine enfila son pantalon en serrant les dents. Capitaine ou pas, il allait assommer cet indésirable d’un

Weitere Kostenlose Bücher