Les révoltés de Cordoue
réfléchir.
Barrax ne dit mot. Il fronça les sourcils, dont les
extrémités se rejoignaient au-dessus de ses yeux mi-clos. Hernando retint sa
respiration pendant que le corsaire gardait les yeux fixés sur lui. Puis il lui
tourna le dos et sortit de la tente ; sa main droite caressait une dague,
comme s’il voulait indiquer au garçon quel allait être son destin.
Il était condamné, pensa Hernando : la mort l’attendait
ou, dans le meilleur des cas, les galères à vie. Assis par terre, il contempla
les chaînes qui entravaient ses chevilles. Il ne pouvait courir. Ni même
marcher ! Il était un esclave. Il n’était rien qu’un esclave
enchaîné ! Et Fatima… Portant les mains à son visage, il ne put retenir
ses larmes.
— Les hommes ne pleurent pas, sauf quand leur mère se
meurt ou qu’ils ont les tripes à l’air.
Hernando regarda le chevalier et respira fortement, dans une
tentative pour réprimer ses sanglots.
— Nous allons mourir ensemble, lui répondit-il en se
séchant les yeux avec sa manche.
— Seulement si Dieu en a décidé ainsi, murmura le
chrétien.
Où avait-il déjà entendu ces mêmes paroles ?
Gonzalico ! La même disposition, la même soumission. Il fit claquer sa
langue. Et l’islam ? Le mot en soi ne signifiait-il pas soumission ?
— Mais Dieu nous a faits libres pour combattre, ajouta
le chevalier, coupant court à ses réflexions.
Hernando eut une moue de mépris.
— Un homme blessé et un autre enchaîné ?
En même temps qu’il faisait cette observation, il esquissa
un geste vers l’extérieur de la tente. Le va-et-vient était permanent.
— Si tu as déjà accepté ta mort, permets-moi au moins
de me battre pour ma vie, répliqua le chrétien.
Hernando observa ses chaînes. Elles n’étaient pas grosses
mais solides : la chair de ses chevilles était à vif à l’endroit où elle
frottait contre le fer.
— Que feras-tu si je te libère ? lui demanda le
garçon, les yeux rivés sur les anneaux.
— Je m’échapperai et sauverai ma vie.
— Je doute que tu sois capable de marcher. Tu ne peux
même pas te lever de ce lit.
— J’y arriverai, répéta le chevalier.
Il voulut se redresser mais une grimace de douleur contracta
son visage.
— Il y a des milliers de musulmans à l’extérieur.
Cette fois, Hernando se tourna vers lui. Il remarqua un
éclat inconnu dans le regard du noble.
— Ils te…
— Tueront ? le devança le chevalier.
L’appel du muezzin à la prière interrompit leur
conversation. La nuit tombait. Les fidèles suspendirent leurs préparatifs pour
le voyage et se prosternèrent. « Maintenant », dit distinctement le
chevalier dans le silence qui précède les prières, en montrant l’extrémité de
la tente derrière laquelle se trouvaient les mules.
Hernando ne priait pas. Il ne l’avait pas fait depuis un
moment. La prière du soir, celle que les Maures, libérés de la vigilance des chrétiens,
pouvaient ânonner avec une certaine tranquillité, cachés dans leurs maisons.
Que lui aurait conseillé Hamid ? Qu’aurait dit l’uléma sur le fait de
libérer ou non un ennemi chrétien ? Il tourna la tête vers le poteau, à
l’entrée de la tente. L’épée d’Hamid, l’épée du Prophète ! Par une
ouverture du tissu il vit les membres du camp qui cherchaient à s’orienter vers
la qibla, se préparant à la prière. L’Arabe de garde, comme toujours, restait
résolument à son poste, à côté du poteau, à côté des épées. Hernando se souvint
de la menace de Barrax : « Si tu veux mourir, tu n’as qu’à empoigner
l’une des deux. » Mourir. La mort est une longue espérance ! Ce fut
comme si les yeux fendus de Fatima, dont l’image surgit soudain à sa mémoire,
le guidaient. Qu’importait tout cela désormais ? Chrétiens, musulmans,
guerres, victimes…
— Fais semblant d’être mort, ordonna-t-il au chevalier
en se tournant vers lui. Ferme les yeux et retiens ta respiration.
— Que… ?
— Fais-le !
Le début de la prière de milliers de Maures rompit le
silence. Hernando écouta les cantiques pendant quelques instants puis il passa
la tête par l’ouverture de la tente.
— Aide-moi ! dit-il au garde avec urgence. Le
noble est en train de mourir.
L’Arabe pénétra dans la tente, posa un genou auprès du
blessé et lui tapota le visage. Hernando profita qu’il lui tournait le dos pour
dégainer l’alfange ; le bruissement métallique
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