Les révoltés de Cordoue
toute autre menace, la
résistance de ces chrétiens obstinés. »
— Approche-toi, ordonna-t-il à Hernando. Si ce
qu’affirme ton beau-père est vrai, tu resteras cette nuit avec le petit
chrétien et tu obtiendras de lui qu’il renie sa foi.
Mais, pendant que les Maures soulevés s’employaient à
convertir les chrétiens de force, la révolte des Alpujarras vivait son premier
revers important. Cette même nuit de Noël, ni les Maures de Grenade, ni ceux de
sa vega, ne rejoignirent la rébellion. Farax, le riche teinturier qui
conduisait le soulèvement, entra dans l’Albaicín à la tête de cent
quatre-vingts monfíes qu’il déguisa en Turcs pour faire croire que les troupes
de renfort avaient débarqué et sillonna ainsi le quartier maure de Grenade en
appelant à grands cris à la révolte. Tandis que Maures et monfíes parcouraient
les ruelles sinueuses du quartier musulman, les maigres troupes chrétiennes
demeurèrent consignées dans l’Alhambra. Cependant, les portes et les fenêtres
des maisons maures demeurèrent closes.
— Combien êtes-vous ? entendit-on demander par
l’entrebâillement de l’une d’elles.
— Six mille, mentit Farax.
— Vous n’êtes pas assez nombreux et vous êtes venus
trop tôt.
Et la fenêtre se referma.
6.
Dès qu’il fut obligé de rendre les couvertures dans
lesquelles il s’était enroulé pendant la nuit, Gonzalico se mit à trembler.
— Il a renié ? demanda à Hernando un monfí de la
troupe d’El Seniz, à l’aube du jour suivant.
Hernando et Gonzalico avaient parlé autour d’un feu, dans le
champ où se reposaient les mules, et la question du monfí les surprit assis et
silencieux, le regard fixé sur les braises du foyer. Renier ? faillit
répliquer le jeune Maure. Il avait réaffirmé sa foi avec une voix d’enfant et
une fermeté d’homme. Il avait prié son Dieu ! Il avait recommandé son âme
au Seigneur des chrétiens !
Il secoua négativement la tête. Le monfí souleva Gonzalico
sans ménagement en le saisissant par le bras. Hernando vit seulement tituber
ses pieds nus qui s’éloignaient en direction du village.
Devait-il courir derrière eux ? Et si finalement il
reniait sa religion ? Il leva le regard des braises qui se consumaient.
« Comme la vie de Gonzalico ! » Mais lui n’aurait pas le temps
de brûler avec la même force et la même passion que les bûches pendant la nuit.
Ce n’était qu’un enfant ! Il vit Gonzalico trotter pour suivre la cadence
du monfí, trébuchant ici sur un caillou ou tombant là, pour être finalement
traîné par terre. Ses yeux se remplirent de larmes. Il se leva pour les suivre.
— Vos rois nous ont obligés à renoncer à notre foi, lui
avait expliqué Hernando à un moment de la nuit. Et nous l’avons fait. On nous a
tous baptisés.
Gonzalico ne le quittait pas des yeux, de ses immenses yeux
bruns.
— Maintenant que nous allons régner…
— Vous ne régnerez jamais dans les cieux, l’avait
interrompu le petit.
— Si c’est le cas, se souvenait-il de lui avoir répondu
sans vouloir entrer dans le débat qu’il avait lancé, que t’importe de renier
ici sur terre ?
L’enfant avait sursauté.
— Renier le Christ ? avait-il demandé dans un
filet de voix.
Étaient-ils stupides, au fond, ces chrétiens ? Alors il
lui avait parlé de la fatwa dictée par le mufti d’Oran quand s’était produite
la conversion forcée des musulmans espagnols :
— Et si on vous force à boire du vin, buvez-le, pas
pour vous adonner au vice, avait-il récité après lui avoir expliqué la
signification du dictamen du jurisconsulte à ses frères d’Al-Andalus, auquel
tous les Maures s’étaient raccrochés, et si on vous force à manger du porc,
mangez-le en niant que c’est du porc et en affirmant que c’est du gibier. Tout
cela signifie que si on te contraint par la force, avait-il tenté de le
convaincre, en réalité tu ne renies pas… tant que tu satisfais aux préceptes
religieux de ta foi.
— Tu reconnais ton hérésie, avait insisté Gonzalico.
Hernando avait soupiré et détourné son attention vers la
Vieille, toujours près de lui. La mule sommeillait debout.
— Ils vont te tuer, avait-il conclu au bout d’un
moment.
— Je mourrai pour le Christ, s’était écrié l’enfant
avec un frisson que ni l’obscurité ni la couverture ne purent dissimuler.
Tous deux avaient gardé le silence. Hernando écoutait les
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