Les révoltés de Cordoue
au-delà des ténèbres. Il s’agissait d’un
retable sur la façade d’une maison, avec des bougies allumées, des fleurs et
une série d’ex-voto à ses pieds. Hernando s’arrêta devant la peinture : la
Vierge du Carmen.
— Très Sainte Vierge, murmura José Caro.
— Immaculée, susurra Hernando, répétant inconsciemment
les paroles du Prophète, contenues dans les prophéties.
— Oui, renchérit le valet de chambre en se
signant : pure et immaculée, conçue sans péché.
Ils reprirent leur chemin. Hernando était plongé dans ses
pensées. Ce chrétien aurait-il pu imaginer que son assertion sur l’Immaculée
Conception provenait de la Sunna, la compilation des pensées du Prophète ?
Que penserait cet homme si on lui expliquait que la reconnaissance de
l’Immaculée Conception en tant que dogme, pour laquelle les chrétiens luttaient
tellement, figurait déjà dans le Coran ? Comment réagirait-il si on lui
disait que c’était le Prophète qui avait affirmé que la Vierge n’avait jamais
été touchée par le péché ? Et devant la considération que le Prophète
portait à Maryam ? « Tu seras la première des femmes du
Paradis… » avait annoncé Mahomet à sa fille Fatima quand il sentit que sa
mort était proche. « Après Maryam. »
Hernando accéléra le pas. Tel était le chemin qu’ils
devaient suivre pour rapprocher les religions et obtenir le respect auquel
aspiraient don Pedro et ses amis pour les Maures ! Il fallait qu’il
réussisse !
Obsédé par cette idée, Hernando apprit que cette même année
1587 une autre conjuration entre Maures de Séville, Cordoue et Écija, qui
voulaient profiter de l’absence de défenses de la capitale pour s’emparer de la
ville sévillane pendant la nuit de la Saint-Pierre, avait été déjouée. Les
meneurs avaient été exécutés de façon sommaire ; Abbas ne se trouvait pas
parmi eux, mais plusieurs Cordouans connurent ce sort. Les armes ! Avec
les armes ils ne réussiraient qu’à monter davantage les chrétiens et leur roi
contre eux, pensa Hernando. Ils voulaient les castrer ! La communauté
maure, les sages et les anciens qui la dirigeaient ne s’en rendaient-ils pas
compte ?
Hernando avait fini par ébaucher un plan : les
Grenadins cherchaient des martyrs et des reliques, ils en avaient besoin pour
faire de leur ville le berceau de la chrétienté et pouvoir se comparer aux
grands centres espagnols de pèlerinage comme Tolède,
Saint-Jacques-de-Compostelle, Séville… Pourquoi ne pas les leur fournir ?
C’est ce qu’il proposa à Castillo dans une longue lettre.
Nous croyons au
même Dieu, celui d’Abraham, écrivit-il. Pour nous, leur Jésus-Christ est le
Messie, la Parole de Dieu et l’Esprit de Dieu, ainsi l’affirme le Coran,
plusieurs fois. Isa est l’Envoyé ! a dit Mahomet, que le salut soit avec
Lui. Les chrétiens savent-ils cela ? Ils nous jugent comme de simples
chiens, comme des mules ignorantes ; aucun d’eux ne s’est préoccupé de
connaître quelles sont nos véritables croyances et les polémistes, les nôtres
et les leurs, dans leurs écrits et leurs discours, accentuent davantage ce qui
nous sépare que ce qui pourrait nous unir. Nous savons tous que trois cents ans
après sa mort, la nature divine de Jésus fut falsifiée par les papes. Lui, Isa,
ne s’est jamais appelé Dieu ou Fils de Dieu ; il n’a jamais rien défendu
d’autre que l’existence d’un Dieu, seul et unique, comme nous le faisons. Mais
ce fut différent avec la nature de sa mère. Son statut de femme la relégua
peut-être au second plan, et les papes ne s’intéressèrent pas à elle ; aujourd’hui
encore, malgré les réclamations du peuple, ils résistent à élever au rang de
dogme de foi l’Immaculée Conception. C’est pourtant en Marie que nos deux
religions continuent de coïncider, et c’est peut-être à travers elle que nous
pourrions rapprocher nos deux communautés. Les polémiques sur la Vierge
tournent autour de sa généalogie, pas de sa considération. Si le peuple et ses
prêtres, qui aujourd’hui nous considèrent comme des chiens hérétiques,
comprennent que nous vénérons, comme eux, la mère de Dieu, ils changeront
peut-être d’attitude. La dévotion mariale se trouve à fleur de peau chez
l’homme de la rue ; il ne peut haïr ceux qui partagent ses
sentiments ! Voilà peut-être le principe de l’entente que nous cherchons
avec tant d’acharnement.
Puis
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