Les révoltés de Cordoue
et le matin, tandis que Volador broutait
dans les pâturages, il s’adossait à un arbre et s’employait à tailler les
pointes des roseaux qu’il testerait ensuite dans la bibliothèque.
Mais la calligraphie ne parvenait pas plus à apaiser son
angoisse. Il n’était pas dans la disposition d’esprit nécessaire pour atteindre
Dieu à travers ses dessins. Dès qu’il avait cru trouver la solution avec
Maryam, le doute l’avait envahi. Comment faire ? Avait-il raison ?
Comment obtenir l’écho nécessaire auprès des chrétiens ? Comment
pouvait-il, lui seul, soutenir un tel projet ?
La réalité était là. Depuis le jour où il avait suivi dans
le tripot de Pablo Coca le valet de chambre, qui avait tenu parole et s’était
présenté à l’établissement du maître tisserand après avoir écouté les
explications d’Hernando sur les trucs utilisés par les tricheurs pour marquer
les cartes – les salissant de minuscules taches, ou employant des cartes
d’une taille imperceptiblement différente à celle du reste du jeu –,
Hernando était retourné jouer plusieurs fois. Parfois seul, parfois avec le
valet de chambre. Il savait qu’il enfreignait le commandement interdisant le
jeu, mais combien de commandements se voyait-il contraint de bafouer sur ces
terres ?
Un soir, il s’efforça d’ajuster la taille des lettres à un
alif préalablement dessiné. Il entoura la première lettre de l’alphabet arabe
d’un cercle dont l’alif constituait le diamètre, et s’entraîna à tracer les
autres selon le canon qui marquait cette circonférence. Au bout d’une
demi-heure il constata que, malgré ses efforts, il ne parvenait pas à
circonscrire la lettre b, horizontale et recourbée, aux mesures de
cette circonférence idéale, ni à la position qu’elle devait occuper sur le plan
par rapport à l’alif.
Il déchira les feuilles, se leva et décida d’aller jouer
chez Pablo Coca, même s’il perdait depuis deux soirs et que Pablo lui avait
annoncé qu’il devait perdre encore.
— Tu ne peux pas toujours gagner, l’avait-il prévenu.
Il est possible que personne ne remarque notre truc, mais tout le monde pensera
qu’il se passe quelque chose d’étrange si tu gagnes toujours, et on ne tardera
pas à t’associer à moi. J’ai beau aller d’une table à une autre, on sait que tu
es mon ami. Sacrifie quelques pièces.
À partir de là, Pablo lui indiquait les jours où il
obtiendrait des gains, de toute façon toujours largement supérieurs aux pertes
subies. Malgré cela, Hernando se distrayait à la maison de jeu. Tout ce qu’il
avait appris ne lui servait pas beaucoup, il jouait comme un vrai pigeon et
misait sans aucune logique, sauf aux moments où le lobe de l’oreille du patron
remuait. Et quand il sortait du tripot, il en profitait pour faire un tour à la
maison close, où il prenait du plaisir avec une jeune rousse au corps exubérant
et sensuel.
Avant de quitter le palais il demanda au valet de chambre
s’il voulait l’accompagner. Il aimait bien l’avoir à ses côtés les jours où il
perdait ; au moins il pouvait parler avec quelqu’un. Le duc était loin, à
la cour, préparant l’invasion de l’Angleterre. José Caro accepta sa proposition
avec empressement.
— Tu n’as pas l’air de bonne humeur, lui dit-il après
qu’ils eurent cheminé un long moment en silence.
— Je suis désolé, s’excusa Hernando.
Leurs pas résonnaient dans les ruelles désertes du quartier
de Santo Domingo. Ils marchaient avec énergie. Le domestique laissait
volontairement les chaînons et le fourreau de sa dague s’entrechoquer et
retentir, afin d’avertir toutes les ombres dissimulées dans l’obscurité des
nuits cordouanes du passage de deux hommes forts et armés. Hernando cachait un
simple poignard dans sa tunique, violant l’interdiction faite aux Maures de
porter une arme.
Non, il n’était pas de bonne humeur. L’idée d’utiliser la
Vierge Marie pour rapprocher les deux communautés continuait à lui tourner dans
la tête, mais il ignorait toujours comment la développer. Et il n’avait
personne avec qui en parler. Un des nombreux autels qui illuminaient Cordoue
dans la nuit apparut au bout de la rue où ils s’étaient engagés. Si, le jour,
les nombreux retables, niches et images des rues de la ville attiraient les prières
et les suppliques des dévots chrétiens, ils s’érigeaient la nuit en véritables
fanaux semblant indiquer un chemin
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