Les révoltés de Cordoue
définitivement à armer une grande flotte sous le commandement
d’Álvaro de Bazán, marquis de Santa Cruz, afin de conquérir l’Angleterre et de
soumettre les hérétiques protestants. Malgré l’intervention de Sir Francis
Drake, l’intrépide pirate anglais qui, en avril, avait conduit une attaque
surprise dans la baie de Cadix, coulant et incendiant près de trente-six navires
espagnols, puis était resté dans la région pour intercepter les nombreuses
chaloupes et caravelles qui transportaient du matériel pour la flotte du roi
espagnol, Philippe II poursuivit son entreprise.
La Grande et Très Heureuse Armada que, par la volonté de
Dieu, selon son ambassadeur à Paris, le roi Philippe devait diriger contre les
hérétiques, exacerba également la religiosité du peuple et de la noblesse
espagnols, toujours avides de combattre au nom de Dieu de vieux ennemis comme
les Anglais, qui se révélaient être par ailleurs les alliés des luthériens des
Pays-Bas dans leur guerre contre l’Espagne. Ainsi, don Alfonso de Córdoba et
son fils aîné, âgé de vingt ans, se disposèrent à embarquer pour la nouvelle
croisade au côté du marquis de Santa Cruz.
Au milieu des préparatifs de guerre contre l’Angleterre
surgirent des nouvelles préoccupantes pour les Maures. Depuis l’assemblée
célébrée au Portugal six ans auparavant, au cours de laquelle Philippe II
avait étudié la possibilité de les embarquer tous pour les couler en pleine
mer, plusieurs rapports avaient été rédigés, qui conseillaient de les
emprisonner et de les envoyer aux galères. Or, pendant cette année de
préparatifs guerriers s’éleva l’une des voix les plus autoritaires du royaume
de Valence, celle de l’évêque de Segorbe, don Martín de Salvatierra, qui,
soutenu par différents personnages du même acabit, rédigea un mémoire au
conseil dans lequel il proposait ce qui, d’après lui, constituait la seule
solution : la castration de tous les Maures de sexe masculin, adultes ou
enfants.
Hernando frissonna et serra les jambes. Il venait de lire la
lettre envoyée par Alonso del Castillo de l’Escorial, qui lui communiquait le
contenu du rapport de l’évêque Salvatierra.
— Maudits chiens ! marmonna-t-il, dans le silence
et la solitude de la bibliothèque du palais du duc.
Les chrétiens seraient-ils capables un jour d’en venir à un
acte aussi horrible ? « Oui, pourquoi pas ? » répondait
Castillo à cette même question dans sa lettre. Quinze ans seulement s’étaient écoulés
depuis que Philippe II en personne, instigateur de révoltes et protecteur
de la cause catholique en France, avait réagi avec enthousiasme en apprenant le
massacre de la Saint-Barthélemy, au cours duquel les catholiques avaient
assassiné plus de trente mille huguenots. Si, lors d’un conflit religieux entre
chrétiens, argumentait le traducteur dans sa lettre, le roi Philippe n’avait
pas hésité à afficher publiquement sa joie et sa satisfaction pour l’exécution
de milliers de personnes – peut-être pas catholiques, mais chrétiennes
tout de même –, quelle miséricorde pouvait-on attendre de lui puisque les
condamnés n’étaient qu’un troupeau de Maures ? Le monarque n’avait-il pas
envisagé la possibilité de les noyer tous en pleine mer ? Le roi
catholique bougerait-il le petit doigt si le peuple se soulevait et, suivant
les conseils du rapport, s’employait à castrer tous les Maures de sexe
masculin ?
Hernando relut la lettre avant de la déchirer avec violence.
Puis il la brûla, comme il le faisait chaque fois qu’il recevait une
communication du traducteur. Les castrer ! Quelle était cette folie ?
Comment un évêque, chef de cette région qu’ils taxaient eux-mêmes de clémente
et pieuse, pouvait-il conseiller une telle barbarie ? Soudain, son travail
pour Luna et Castillo lui parut insignifiant ; l’Histoire les rattrapait à
un rythme vertigineux, et lorsque Luna aurait mis fin à son panégyrique sur les
conquistadores musulmans, qu’il aurait obtenu la licence nécessaire pour sa
publication et que le texte serait enfin porté à la connaissance des chrétiens,
les Maures auraient déjà été exterminés, d’une manière ou d’une autre. Et si
Abbas et les autres Maures, partisans d’une révolte armée, avaient finalement
raison ?
Il se leva du bureau et déambula dans la bibliothèque,
faisant les cent pas, offusqué, les mains crispées, marmonnant
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