Les révoltés de Cordoue
à ce sujet reçoivent quatre-vingts coups de fouet,
conformément à la loi musulmane.
Avant de s’occuper du châtiment du muletier, Brahim se
disposa à exécuter la peine des deux femmes. Il s’était procuré une fine
baguette et interrogea Hamid du regard lorsqu’on lui présenta les condamnées.
L’uléma leur demanda si elles étaient enceintes. Toutes deux
firent signe que non. Il s’adressa alors à Brahim :
— Frappe-les doucement, retiens-toi, ordonna-t-il.
Ainsi l’ordonne la loi.
Les deux femmes laissèrent échapper un soupir de
soulagement.
— Qu’elles ôtent leurs saie et leurs manteau, sans se
dénuder davantage. Inutile de leur attacher les pieds ou les mains… elles
n’essaieront pas de fuir.
Brahim s’efforça d’obéir aux ordres d’Hamid. Malgré cela,
les quatre-vingts coups de baguette, même légers, finirent par faire apparaître
des lignes de sang sur les chemises des femmes qui, rapidement, s’étendirent
sur le dos.
Au centre du château, juste avant la nuit, devant des
centaines de Maures silencieux, Brahim trancha la main droite du muletier de
Narila d’un violent coup de cimeterre. Ubaid, à genoux, ne le regarda pas ;
quelqu’un maintenait son bras tendu sur la souche d’un arbre en guise de
billot. Il ne cria pas au moment où sa main quitta son poignet, ni quand on lui
appliqua un garrot. Mais il le fit après, lorsqu’on lui enfonça le bras dans
une bassine pleine de vinaigre et de sel pilé.
Ses hurlements donnèrent la chair de poule à tous les Maures
présents.
Sitôt rentrée, le soir même, Aisha fit à Hernando, alors en
train de dîner, un compte-rendu du procès.
— À la fin il a dit que c’était toi qui avais volé la
croix. Il n’arrêtait pas de le répéter. Il criait et t’appelait le nazaréen.
Pourquoi cette canaille t’a-t-elle accusé ? demanda Aisha.
La bouche pleine et le regard dans son assiette, Hernando
ouvrit les mains en signe d’ignorance et haussa les épaules.
— C’est un misérable ! répondit-il sans regarder
sa mère et en continuant à manger.
Puis il introduisit rapidement un autre morceau dans sa
bouche.
Ce soir-là, il n’osa pas se rendre chez Hamid et eut du mal
à trouver le sommeil. Qu’avait-il dû penser, lui, des accusations du
muletier ? Il avait ordonné qu’on lui coupe la main droite ! Ubaid
n’en resterait pas là. Il savait que c’était lui. Certainement. Mais à présent…
il n’avait plus de main droite, celle avec laquelle il avait brandi le couteau
contre lui. Malgré cela, Hernando devait rester prudent. Il se retourna sur la
paille où il sommeillait. Et Brahim ? Son beau-père avait trouvé étrange
son insistance pour qu’il inspecte les mules. Et les autres hommes
présents ? Ce maudit surnom ! Si auparavant il avait été le nazaréen
seulement pour les habitants de Juviles, il le serait désormais pour tous ceux
des Alpujarras.
Le lendemain matin il ne se décida pas non plus à rendre
visite à Hamid, mais en milieu de journée l’uléma le fit appeler. Il le trouva
près de l’église, dans le froid du soleil d’hiver, à l’endroit même où gisaient
les débris de la cloche, assis sur le plus gros morceau, l’épée du Prophète à
ses pieds. Face à lui, par terre, de nombreux enfants, originaires de Juviles
ou venus du château, étaient sagement alignés. Certaines femmes et des anciens
observaient la scène. Hamid lui fit signe d’approcher.
— La paix soit avec toi, Hernando, l’accueillit-il.
— Ibn Hamid, corrigea le garçon. J’ai adopté ce nom… si
tu n’y vois pas d’inconvénient, bredouilla-t-il.
— La paix, Ibn Hamid.
L’uléma planta son regard dans les yeux bleus d’Hernando.
Il ne lui en fallut pas davantage : il lut la vérité en
un instant. Hernando baissa la tête ; Hamid soupira et regarda le ciel.
Tous deux s’écartèrent un peu du groupe d’enfants. L’uléma
avait auparavant chargé l’un d’eux de veiller sur la précieuse lame.
Hamid laissa passer quelques minutes.
— Regrettes-tu ce que tu as fait ou as-tu peur ?
l’interrogea-t-il alors.
Hernando, qui s’attendait à un ton plus dur, réfléchit à la
question avant de répondre :
— Il voulait que je vole le butin avec lui. Une fois,
il a tenté de me tuer et m’a menacé de réessayer.
— Peut-être le fera-t-il, reconnut Hamid. Il te faudra
vivre avec cela. Vas-tu l’affronter ou penses-tu fuir ?
Hernando
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