Les révoltés de Cordoue
l’encre. Demain soir, nous
irons à la tour.
Comme pour la Turpiana, le clocher de l’église de San José,
dans l’Albaicín, avait été le minaret de la plus ancienne mosquée de Grenade,
la Almorabitin. Mais contrairement à la Turpiana, la mosquée avait été démolie
et le minaret conservé. Le jour se leva, annonçant soleil et chaleur. Hernando
se réveilla tôt et partit se promener aux abords du temple. La veille au soir,
avant de se retirer, il avait demandé à don Pedro, à l’écart des autres, des
nouvelles de don Ponce de Hervás : il voulait savoir si ses amours avec
Isabel avaient eu des conséquences.
— Aucune, avait répondu le noble. Comme je te l’avais
annoncé, le juge ne provoquera aucun scandale. Tu peux être tranquille.
Hernando se divertit de la composition que formaient les
pierres de taille inégales et les pierres plates disposées en dessins bosselés
du minaret. Une merveilleuse fenêtre en fer à cheval, manifestement musulmane,
conservée dans un mur, attira son attention. Il tenta d’imaginer les temps
anciens, quand les musulmans étaient appelés à la prière depuis ce minaret.
Tout à ses pensées, il faillit ne pas reconnaître les deux femmes qui, parmi
les paroissiens, quittaient l’église après la messe. Cependant, la chevelure
blonde d’Isabel resplendissait sous le soleil, même entre la délicate dentelle
de la mantille noire qui couvrait sa tête et encadrait son visage. Hernando
frissonna en l’observant, fière, altière, inaccessible. Doña Angela évoluait à
ses côtés, méfiante et hostile. Aucune des deux femmes ne le remarqua.
Regardant droit devant, elles marchaient en silence. Hernando demeura caché sur
le seuil de la petite porte d’une maison maure et les vit descendre en
direction de la villa. La nuit précédente, la vision de l’Alhambra éclairé
avait fait renaître sa passion. Les yeux rivés sur Isabel, il suivit les deux
femmes à une certaine distance, parmi la foule. Que pouvait-il faire ?
Doña Angela ne lui permettrait pas de parler avec Isabel, et quand elle
arriverait à la villa, il ne pourrait plus l’approcher. Il croisa quatre petits
gamins qui traînaient dans la rue et sortit un réal de sa poche. Immédiatement,
les garçons l’entourèrent.
— Vous voyez ces deux femmes ? leur demanda
Hernando, s’arrangeant pour qu’aucune des personnes qui déambulaient autour
d’eux ne remarque ses intentions. Je veux que vous couriez jusqu’à elles et que
vous bousculiez la plus petite. Puis que vous la distrayiez un bon moment.
Quant à l’autre, vous ne touchez pas un seul de ses cheveux, compris ?
Les quatre garçons acquiescèrent, pendant que l’aîné
s’emparait du réal. Ils partirent en courant, sans même ébaucher de plan.
Hernando descendit la rue en pressant le pas, évitant hommes et femmes. Il se
demanda s’il n’était pas allé un peu loin ; la cousine du juge était une
personne âgée…
Le cri d’une femme retentit dans la petite rue. Doña Angela
s’affala à plat ventre par terre, de tout son long. Hernando secoua la tête. Il
n’avait plus le choix ! Les gamins n’eurent pas besoin de distraire doña
Angela : un chœur de passants se forma autour des deux femmes tandis
qu’ils s’enfuyaient sous les imprécations et autres calottes. Hernando
s’approcha du groupe ; deux personnes s’efforçaient d’aider doña Angela à
se relever ; d’autres regardaient et deux hommes gesticulaient en direction
des quatre garçons, déjà loin. Isabel était penchée sur doña Angela. Alors
qu’on soulevait l’accidentée, la jeune femme parut sentir que quelqu’un
l’observait et se redressa. Scrutant les gens, elle vit Hernando qui se tenait
juste en face, entre un homme et une femme arrêtés là pour contempler la scène.
Ils se regardèrent avec intensité. Isabel resplendissait.
Hernando hésita entre lui sourire, lui lancer un baiser, fendre la foule,
l’attraper par le bras et l’emmener loin de là, ou simplement crier qu’il la
désirait. Mais il ne fit rien. Elle non plus. Ils gardèrent leurs yeux fixés
l’un sur l’autre jusqu’à ce que doña Angela réussisse à tenir debout toute
seule. Hernando remarqua qu’une femme s’employait à frotter les habits couverts
de sable de la cousine du juge, mais que cette dernière refusait son aide,
comme si elle avait hâte d’en finir avec cette situation. Regardant de nouveau
Isabel, il vit qu’elle avait les
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