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Les révoltés de Cordoue

Les révoltés de Cordoue

Titel: Les révoltés de Cordoue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ildefonso Falcones
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soir-là le lobe de l’oreille de Pablo Coca remua
discrètement et Hernando empocha des gains confortables. Il rentra à l’auberge
del Potro mais, avant de monter dans sa chambre, il alla faire un tour aux
écuries pour vérifier l’état de Volador. Le cheval sommeillait, attaché à une
longue mangeoire, se distinguant entre deux petites mules. Les muletiers et les
voyageurs incapables de payer les chambres de l’étage dormaient avec les
animaux. Volador sentit sa présence et s’ébroua. Hernando s’approcha pour lui
tapoter l’échine.
    — Que fais-tu là, petit ? s’exclama-t-il en voyant
un garçonnet roulé en boule, couché sur la paille, à proximité des sabots avant
de Volador.
    L’enfant, qui n’avait pas douze ans, fixa sur Hernando ses
immenses yeux marron, mais ne se leva pas.
    — Je veille sur votre cheval, seigneur, répondit-il
d’une voix tranquille, avec une sérénité peu commune pour son âge.
    — Il pourrait t’écraser pendant que tu dors.
    Hernando lui tendit la main pour qu’il se lève. Le garçonnet
ne la saisit pas.
    — Il ne le fera pas, seigneur. Volador… je vous ai
entendu l’appeler ainsi quand vous êtes entré, précisa-t-il, est un bon animal
et nous sommes devenus amis. Il ne m’écrasera pas. Je veillerai sur lui pour
vous.
    Comme s’il avait compris les paroles de l’enfant, Volador
baissa la tête pour toucher de ses lèvres la tignasse sale du garçon. La
tendresse de la scène contrastait avec les cris, les menaces, les ruses, les
mises et la cupidité de rigueur dans les tripots, qui collaient encore aux
habits d’Hernando. Le Maure hésita.
    — Viens. Il pourrait te blesser, décida-t-il. Les
chevaux dorment aussi, et même sans le vouloir il pourrait…
    Il se tut soudain. Après avoir esquissé une moue de
tristesse, le garçon s’efforçait de se lever en s’agrippant à l’une des pattes
du cheval, comme s’il voulait se hisser grâce à elle. Ses deux jambes ne
formaient qu’une masse informe : elles étaient brisées de toutes parts.
Hernando s’accroupit pour l’aider.
    — Mon Dieu ! Que t’est-il arrivé ?
    L’enfant réussit à tenir debout, les mains posées sur les
épaules d’Hernando.
    — Le plus difficile, c’est de rester comme ça, dit-il
avec un sourire, exhibant des dents cassées et des trous dans les gencives. Si
vous me donniez ces béquilles, là, je pourrais…
    — Que t’est-il arrivé aux jambes ? interrogea Hernando
consterné.
    — Mon père les a vendues au diable, répondit le garçon
avec sérieux.
    Leurs visages se touchaient presque.
    — Que veux-tu dire ? demanda Hernando dans un
murmure.
    — Mon frère aîné, c’étaient les bras et les mains. Moi,
les jambes. José, mon frère aîné, m’a raconté que j’étais encore nourrisson
quand mon père m’a brisé les os avec une barre de fer. J’ai beaucoup pleuré.
Après ils ont attendu de voir si je survivrais. Les enfants, nous avions tous
un handicap. Je me souviens quand mes parents ont aveuglé ma petite sœur en lui
passant un fer brûlant sur les yeux alors qu’elle avait deux mois. Elle aussi a
beaucoup pleuré, ajouta le garçonnet avec tristesse. On obtient de meilleures
aumônes avec un enfant paralysé.
    Hernando sentit qu’il avait la chair de poule.
    — Le problème, c’est que le roi interdit aux mendiants
de faire la charité avec des enfants de plus de cinq ans. Les conseillers
généraux et les curés peuvent leur retirer leur autorisation s’ils enfreignent
la loi. Moi, ils m’ont laissé continuer un peu parce que j’étais très petit,
mais à sept ans ils m’ont abandonné. Voilà le résultat, seigneur : deux
jambes contre sept années d’aumône.
    Hernando fut incapable d’articuler un mot. Il avait la gorge
nouée. Il connaissait les cruels procédés pour arracher une misérable pièce à
la compassion des gens, mais il n’avait jamais été confronté de si près la
réalité de ces malheureux. « Voilà le résultat, seigneur : des jambes
contre sept années d’aumône ! » Ses paroles étaient si tristes… Il
sentit une soudaine impulsion de le prendre dans ses bras. Depuis combien de
temps n’avait-il plus étreint un enfant ? Il se racla la gorge.
    — Tu es sûr que Volador ne t’écrasera pas ?
finit-il par demander.
    Les dents cassées du petit réapparurent le temps d’un
sourire.
    — Sûr. Demandez-lui.
    À genoux près des pattes du cheval, Hernando tapota la

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