Les révoltés de Cordoue
tête
de Volador et aida l’enfant à s’allonger devant ses sabots.
— Comment t’appelles-tu ? demanda-t-il alors que
le petit se pelotonnait de nouveau sur la paille, fermant déjà les yeux.
— Miguel.
— Surveille-le bien, Miguel.
Cette nuit-là, Hernando ne dormit pas. Après avoir écrit à
don Pedro de Granada, il ne lui restait plus qu’une seule feuille de papier
vierge, une plume et un peu d’encre. Il s’assit à la grossière table branlante
de sa chambre, balaya la couche de poussière accumulée sur le bois et, à la
lumière d’une bougie scintillante, il se disposa à écrire, tous les sens en
éveil. Sa mère, Miguel, le jeu, cette chambre lugubre et sale, les bruits et
les rumeurs des autres clients brisant le silence de la nuit… La plume glissa
sur le papier et il rédigea la plus belle lettre qu’il avait jamais écrite
jusque-là. Sans réfléchir, comme si Dieu guidait sa main, il écrivit la
profession de foi inachevée qui venait de conduire sa mère dans les geôles de
l’Inquisition : Il n’y a d’autre Dieu que Dieu, et Mahomet est l’envoyé
de Dieu. Puis il s’apprêta à continuer avec la prière qu’entonnaient
ensuite les Maures. Il trempa la plume dans l’encre, l’image d’Hamid à sa
mémoire. Il la lui avait fait réciter dans l’église de Juviles pour prouver
qu’il n’était pas chrétien. Et s’il était mort alors ? « Toute
personne est obligée de savoir que Dieu… » Il n’aurait pas connu cette
vie, si dure, pensa-t-il en mouillant à nouveau sa plume.
Au matin, Volador n’était plus aux écuries. Miguel non plus.
Hernando appela l’aubergiste à grands cris.
— Ils sont sortis, lui répondit celui-ci. Le garçon dit
que vous lui avez donné votre permission. Un des muletiers qui dormait aux
écuries a confirmé que vous l’aviez chargé de veiller sur le cheval.
Hernando se
précipita, énervé, plaza del Potro. Le petit l’avait-il trompé ? Et si on
lui dérobait Volador ? À peine eut-il franchi le seuil qu’il s’arrêta.
Miguel, appuyé sur l’une de ses béquilles, les jambes tordues, regardait le
cheval boire au bassin de la fontaine de la place : un monument avec la
sculpture d’un poulain [14] qui se cabrait, érigée quelques
années plus tôt. Le poil de Volador brillait au soleil encore blafard ;
l’enfant l’avait brossé.
— Il avait soif, expliqua le garçonnet tout sourires en
voyant Hernando à ses côtés.
Le cheval s’ébroua et bava sur Miguel l’eau qu’il venait
d’avaler. L’enfant le repoussa du bout d’une béquille. Hernando les
observa : ils semblaient bien s’entendre. Miguel devina ses pensées.
— Les animaux m’aiment autant que les gens fuient ma
compagnie, assura-t-il alors.
Hernando soupira.
— J’ai à faire, dit-il en lui donnant une pièce de deux
réaux que l’infirme serra dans ses mains, les yeux écarquillés. Occupe-toi de
lui.
Il s’éloigna vers la calle del Potro et prit la direction de
l’alcázar, où sa mère était détenue. Au même moment, il tourna la tête et vit
l’enfant qui, à côté de la fontaine, appuyé sur ses béquilles, s’amusait avec
Volador, lui jetant un peu d’eau du bout des doigts, indifférents tous deux à
ce qui pouvait se passer alentour. Il continua son chemin pendant que Miguel
décidait de rentrer aux écuries sans saisir Volador par la bride, se contentant
d’accrocher celle-ci à l’une de ses épaules, tandis que le cheval le suivait,
libre comme un chien. Le Maure hocha la tête. Il s’agissait d’un pur-sang
espagnol, fougueux et altier. Il aurait dû être effrayé par les petits bonds
que faisait Miguel pour se déplacer sur ses béquilles, afin d’éviter que ses
pieds ne touchent le sol et blessent davantage ses jambes maigres et déformées.
Il arriva à l’alcázar des Rois Chrétiens avec une sensation
étrange, liée aux bonds de Miguel et à la docilité de Volador. Encore absorbé
par cette scène, Hernando fut surpris de constater que le gardien qui,
jusque-là, avait refusé qu’il voie sa mère, acceptait l’écu en or qu’il avait
mécaniquement sorti de sa poche, sans aucune conviction. Il l’avait gagné au vingt-et-un,
grâce à un as et un roi, déclenchant mille imprécations de la part des joueurs
qui avaient parié contre lui.
Étonné, il suivit le gardien jusqu’à un grand patio avec une
fontaine, des orangers et d’autres arbres, dont la beauté était ternie
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