Les révoltés de Cordoue
personne, qui toucha les six pour cent figurant sur la lettre, lui ouvrit un
compte d’un montant de quatre-vingt-dix ducats et lui donna le reste sous la
forme de sept couronnes en or, plusieurs réaux de huit et des pièces
supplémentaires.
Il retourna à l’auberge et paya généreusement le patron,
étouffant de cette manière les soupçons de ce dernier, qui avait appris d’une
part qu’il était maure, et d’autre part qu’il fréquentait le tripot. La
présence d’une condamnée de l’Inquisition avait en outre compliqué l’affaire.
— Je ne sais pas si vous avez l’autorisation de vivre
dans cette paroisse, lui avait-il dit quelques jours plus tôt. Comprenez-moi.
Si l’alguazil venait… Les nouveaux-chrétiens ont besoin de la permission des
curés pour changer de résidence.
Hernando le fit taire en lui montrant le sauf-conduit
expédié par l’archevêque de Grenade.
— Si j’ai le droit de me déplacer librement dans les
royaumes d’Espagne, allégua-t-il, comment pourrait-on m’interdire de le faire
dans une simple ville ?
— Mais la femme…, insista l’aubergiste.
— Elle est avec moi. C’est ma mère.
Il lui avait répondu avec fermeté, mais lui donna néanmoins
quelques pièces en plus.
Cependant, il avait conscience que cette situation ne
saurait s’éterniser. Don Pedro lui avait envoyé de l’argent, en effet, mais il
lui demandait aussi de travailler à leur projet, et Hernando ne pouvait pas le
faire à l’auberge. Le lit étant occupé par Aisha, dont l’état restait
stationnaire, et il dormait par terre. Miguel veillait sur elle chaque jour
avec affection et tendresse. Il lui parlait, lui racontait des histoires, la
caressait et riait sans arrêt, il ne la quittait pas à l’exception des moments
où il demandait à la femme et à la fille de l’aubergiste de l’aider à la laver
ou à la changer de position afin de lui éviter les escarres.
— Tu as réussi à la faire manger ? questionna un
jour Hernando.
— Elle n’en a pas besoin, seigneur, répondit le garçon.
Pour le moment je continue à lui donner du bouillon de poule. C’est suffisant
pour une femme dans son état. Elle mangera si elle veut.
Hernando hésita et sa main effleura son menton. Il n’osa lui
demander s’il pensait que sa mère reviendrait ou pas. Il se rendit compte que
le garçon, immobile sur ses béquilles, face à lui, savait ce qui lui passait
par la tête. Il lui souriait sans rien dire.
Hernando comprit qu’avec Aisha dans cet état, il était
impossible de quitter Cordoue. En attendant, il devait louer une maison et
chercher du travail. Avec des chevaux. Il était bon cavalier. Un noble pourrait
peut-être l’engager comme dresseur ou écuyer, voire comme valet d’écurie.
Pourquoi pas ? S’il le fallait, il savait aussi écrire et tenir des
comptes ; quelqu’un serait peut-être intéressé. Et la nuit il se
consacrerait à travailler à l’évangile, qu’il continuait de dissimuler parmi
des documents pour lesquels, à l’auberge, à l’inverse de ce qui se passait dans
le palais du duc, personne ne semblait s’intriguer de ses absences ; ici,
personne ne savait lire.
Ses pensées le conduisirent à l’établissement de Coca.
L’esclave guinéenne le laissa entrer. Coca avait peut-être entendu parler d’une
maison à louer…
— Tiens, qui voilà ! lança le patron du tripot,
qui comptait l’argent gagné la veille. J’allais précisément partir à ta
recherche.
Hernando avança vers la table où Coca était assis.
— Tu connaîtrais une maison à louer pas trop
cher ? l’interrogea-t-il sans crier gare en se dirigeant vers lui.
Coca haussa les sourcils.
— Mais pourquoi allais-tu partir à ma recherche ?
réalisa-t-il soudain.
— Attends.
Coca finit de calculer les bénéfices des tables, prit congé
de la Guinéenne et, une fois qu’ils furent seuls, s’adressa avec sérieux à son
visiteur.
— Ce soir, il y a une grande partie, annonça-t-il.
Hernando montra une hésitation.
— Ça ne t’intéresse pas ? s’étonna Pablo.
— Si, je crois que si. Je…
Devait-il ou non lui parler des cent ducats qu’il venait de
recevoir de don Pedro ? C’est lui qui avait insisté pour participer à
cette grande partie, mais à présent… les cent ducats lui offraient une sécurité
dont il ne disposait pas jusque-là. C’était l’argent qui lui garantissait les
soins pour sa mère, la possibilité de
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