Les révoltés de Cordoue
comprenait si bien le langage des bêtes, et sa mère inerte auprès de lui.
Il l’entendit lui raconter des histoires qu’il ponctuait de rires et de mille
gestes. D’où cet enfant éclopé, à qui la vie avait tout refusé, pouvait-il
tirer tant d’optimisme ? Que lui racontait-il ? Un éléphant !
Miguel poursuivait un éléphant… dans une barque sur le Guadalquivir ! Il
le vit imiter la trompe du pachyderme, le bras replié au niveau du coude devant
la bouche, et la main qui voltigeait avec la cuiller sous les yeux inexpressifs
d’Aisha. Où avait-il entendu l’histoire d’un éléphant ? Il soupira
tristement et abandonna la chambre, poursuivi par les rires de Miguel.
L’éléphant avait coulé à hauteur du moulin de l’Albolafia ! Et pour la
première fois depuis plusieurs jours, Hernando sella Volador et fila vers les
pâturages où il se lança dans un galop frénétique.
Vous payerez contre cette lettre de change, à six pour
cent d’intérêts, à Hernando Ruiz, nouveau-chrétien de Juviles, habitant de
Cordoue, la somme de cent ducats, à raison de trois cent-soixante-quinze
maravédis chacun… Hernando contempla la lettre de change que lui avait
remise un muletier à l’auberge del Potro de la part de don Pedro de Granada
Venegas. Cent ducats représentaient une somme considérable. Il ne pouvait lui
faire défaut maintenant, disait le noble dans la lettre qui accompagnait le
premier document. Le parchemin de la Torre Turpiana avait été un excellent
premier pas. Luna et Castillo traduisaient le damier de lettres à l’avantage de
la cause, mais le seul objectif était de révéler l’évangile de Barnabé et de
tenter un rapprochement entre les deux religions à travers Marie. Car les
rapports contre les Maures continuaient de parvenir au roi avec les
propositions les plus effarantes, affirmait don Pedro. Alonso Guttiérez, de
Séville, envisageait de les regrouper dans des communautés fermées de moins de
deux cents familles chacune, sous le commandement d’un chef chrétien qui
contrôlerait jusqu’à leurs mariages et de les marquer au visage afin qu’ils
puissent être identifiés partout et leur imposer d’importantes charges
fiscales.
Mais il y a pire,
continuait la lettre. Un dominicain nommé Bleda, cruel et intransigeant, va
beaucoup plus loin et soutient, s’appuyant sur la doctrine des Pères de
l’Église, que le roi pourrait légalement, d’un point de vue moral, disposer de
la vie de tous les Maures comme il en a envie, les tuer ou les vendre en
qualité d’esclaves à d’autres pays. C’est pourquoi il recommande de les envoyer
tous aux galères. De cette façon, argumente le moine, ils pourraient remplacer
les nombreux prêtres habituellement condamnés aux galères par leurs supérieurs
lorsqu’ils commettent des fautes, dans le seul but d’éviter de les maintenir en
prison. Cette Église qui se considère si miséricordieuse prétend assassiner ou
réduire en esclavage des milliers de personnes. Nous devons travailler. Toutes
ces propositions arrivent aux oreilles des Maures et échauffent les esprits en
un cercle diabolique : plus il y a de rapports, plus il y a de tentatives
de rébellion et, à mesure qu’on découvre les conspirations, les chrétiens
possèdent davantage d’arguments pour adopter une de leurs sanglantes solutions.
D’un autre côté, la défaite de la Grande Armada n’est pas anodine. L’Angleterre
est devenue forte, et son aide aux armées qui combattent en Flandre augmentera ;
en France, la Ligue chrétienne, encouragée et payée par le roi espagnol, se
trouve dans de sérieuses difficultés depuis la défaite. Tout cela aura des
répercussions sur nous, Hernando, n’en doute pas. Plus les Espagnols perdront
du pouvoir en Europe, plus ils craindront que les Maures ne s’allient à une
puissance étrangère, et ils prendront des mesures. Le temps joue contre nous.
Tiens-moi informé de ta situation et compte sur moi ; nous avons besoin de
toi.
Il brûla la lettre de don Pedro, sortit de l’auberge et,
après avoir demandé à un alguazil où était le bureau de change de don Antonio
Morales, établissement à qui le banquier de don Pedro de Granada adressait la
lettre de change, il s’y rendit, pourvu du document et de sa cédule
personnelle. L’officine de Morales se trouvait près du quartier des marchands
de soie et de la halle au blé. Hernando, bien habillé, fut reçu par le cambiste
en
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