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Les révoltés de Cordoue

Les révoltés de Cordoue

Titel: Les révoltés de Cordoue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ildefonso Falcones
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aux écuries. En vérité, les
animaux n’étaient pas bien dressés ; ils étaient farouches, méfiants, et
il suffisait de les monter pour s’apercevoir que leur apprentissage de la selle
avait été correct, mais violent et sans art. Toribio n’avait aucune
sensibilité, avait dû admettre un jour Hernando. Tous ces défauts avaient
poussé le Maure à se rapprocher des chevaux pour tenter de les corriger
lui-même, labeur auquel il se consacrait chaque matin avant l’aube. Dès lors,
Miguel avait remarqué que son seigneur recouvrait l’appétit et que l’air des
pâturages où il chevauchait faisait disparaître le teint hâve de son visage,
rançon de nombreuses heures d’enfermement dans la bibliothèque.
    La nuit où il fit la connaissance de Rafaela, Miguel était
allé s’assurer qu’Estudiante était bien tranquille au côté de César. Puis il
avait tourné sur ses béquilles, prêt à repartir vers sa chambre, quand un bruit
de sanglots étouffés l’avait arrêté. Son seigneur pleurait-il ? Il avait
tendu l’oreille et levé les yeux vers la bibliothèque, où Hernando continuait
de travailler ; la lumière des lampes filtrait par la fenêtre qui donnait
sur le patio. Il avait chassé cette idée. Les pleurs provenaient de l’autre côté,
où les écuries étaient attenantes au patio de la maison voisine, celle du
magistrat don Martín Ulloa. Miguel faillit partir, mais ces sanglots lourds lui
rappelèrent ceux de ses frères pendant la nuit : réprimés pour que leurs
parents ne les entendent pas, réprimés par peur de nouveaux coups. Miguel
s’approcha du mur de séparation. Quelqu’un pleurait avec désespoir. Les
sanglots, qu’il entendait à présent nettement, imploraient le ciel, comme jadis
ceux de ses frères… Et les siens.
    — Que t’arrive-t-il, petite ?
    Il devinait que c’était une fille. Oui, sans nul doute il
s’agissait d’une jeune fille.
    Personne ne lui répondit. Miguel entendit la jeune fille
renifler, s’efforçant de faire taire des gémissements qui, malgré elle,
laissèrent place à des sanglots irrépressibles.
    — Ne pleure pas, petite, insista Miguel en vain à
travers le mur.
    Il leva les yeux vers le ciel de Cordoue. Quel âge pouvait
avoir sa petite sœur aveugle ? La dernière fois qu’il l’avait vue, elle
devait être âgée de cinq ou six ans ; assez pour comprendre que sa vie
était différente de celle des autres enfants qui riaient dans les rues. Miguel
murmura à la jeune fille les mots qu’il avait dits à sa sœur, des années plus
tôt, dans l’obscurité du taudis humide et nauséabond où ils vivaient avec leurs
parents :
    — Ne pleure pas, petite. Tu sais quoi ? Il était
une fois une petite fille aveugle, commença-t-il alors à lui raconter, appuyé
contre le mur, se rappelant avec mélancolie, mot pour mot, la première histoire
qu’il avait inventée pour sa petite sœur. Une enfant qui tendait ses bras pour
toucher ce merveilleux ciel étoilé dont tout le monde lui disait qu’il était
au-dessus de sa tête et qu’elle ne pouvait voir…
    Ils se parlèrent ainsi plusieurs soirs d’affilée, à travers le
mur. Miguel, avec ses histoires, arrachant à la jeune fille des sourires qu’il
ne voyait pas, tandis que celle-ci se laissait bercer par une voix qui, pendant
un moment, lui faisait oublier ses malheurs.
    — Tu es le…, susurra-t-elle un soir.
    — Le boiteux, confirma Miguel, avec un soupir de
tristesse.
    Finalement, quelques jours plus tard, ils s’étaient
rencontrés.
    Miguel l’avait invitée à voir les poulains. Il avait réussi
à lui raconter des milliers d’histoires sur eux. Rafaela se glissa
subrepticement depuis sa maison par une ancienne petite porte qui n’était plus
utilisée, donnant dans l’impasse qui finissait devant le portail de sortie des
écuries d’Hernando. Les lèvres pincées, Miguel l’attendit, dressé sur ses
béquilles. Bien qu’elle eût seulement deux mètres à traverser, elle arriva dans
les écuries enroulée dans une cape noire. Le jeune homme ne l’avait jamais vue
de près : elle devait avoir dans les seize ou dix-sept ans ; elle
avait de longs cheveux châtains qui tombaient sur ses épaules, un regard doux
et un petit nez surplombant des lèvres fines. Ce soir-là, enfin, les yeux dans
les yeux, elle lui conta la raison de son chagrin. Son père, le magistrat don
Martín Ulloa, n’avait pas assez d’argent pour doter ses deux filles et, dans

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