Les révoltés de Cordoue
prophète Isa.
Don Pedro avait approuvé avec satisfaction. Luna avait
applaudi poliment.
— Je t’assure que le maestro Binilit, avait insisté
Castillo, sera assez habile pour ciseler sur du plomb tous les écrits que nous
lui présenterons.
Hernando avait pu constater l’adresse de Binilit lors de sa
première visite à Jarafuel. Il avait cherché Munir, l’uléma du village, un
homme étonnamment jeune pour la responsabilité qu’il portait sur ses épaules.
Ensemble, ils s’étaient rendus au minuscule atelier du vieil orfèvre. Quand ils
arrivèrent, Binilit travaillait à une main de Fatima qu’on lui avait commandée
pour un mariage : il plaça une feuille d’argent sur un moule en fer
refondu et, sur celle-ci, une lame de plomb qu’il martela avec précision pour
en extraire le bijou, net et lisse, sur lequel il se mit à ciseler des dessins
géométriques. Pendant ce temps, l’uléma, que Castillo avait prévenu, lui
expliquait ce qu’on attendait de lui.
— Il s’agit d’un travail secret dont peut dépendre
l’avenir de notre peuple sur ces terres, avait conclu Munir.
Binilit hocha la tête, détournant pour la première fois son
attention du bijou.
Absorbé par l’art de l’orfèvre, Hernando profita de ce
moment pour apprécier son travail. Binilit l’encouragea à prendre la pièce
d’argent. Hernando songea qu’elle ressemblait à la main de Fatima qu’il cachait
si jalousement dans sa bibliothèque. Il la soupesa. Elle était peut-être plus
légère encore. Le bout de ses doigts glissa sur les dessins inachevés. Quelle
jeune fille la porterait en secret ? De quelles aventures ce bijou
serait-il le témoin ? Ses souvenirs, au côté de Fatima, lui arrachèrent un
sourire nostalgique.
— Elle te plaît ? demanda Binilit en le ramenant à
la réalité.
— Elle est merveilleuse.
Ils demeurèrent silencieux quelques instants.
— Fais-moi voir ces écrits, dit ensuite l’orfèvre.
Hernando reposa la main de Fatima à sa place et remit à
Binilit les documents qu’il avait apportés. Le maestro les examina, d’abord
avec une certaine condescendance, puis, lorsqu’il remarqua les sceaux de
Salomon représentés sur plusieurs écrits, les caractères pointus avec lesquels
étaient tracées les lettres arabes, et qu’il eut déchiffré une phrase ou deux
au hasard, il écarquilla les yeux comme s’il on lui jetait un défi.
— Il y a vingt-deux ensembles d’écrits, expliqua
Hernando. Certains, comme tu le verras, sur une seule feuille. D’autres sont
plus longs.
L’orfèvre scruta longtemps les documents qu’il étendit sur
sa petite table de travail, calculant mentalement le travail que cela
représenterait, imaginant déjà comment il pourrait ciseler tous ces écrits sur
des lames de plomb. Soudain il se concentra sur des feuilles aux caractères
illisibles qui n’étaient ni écrites en latin, ni avec l’étrange calligraphie
arabe utilisée par Hernando.
— Et ça ? interrogea-t-il.
— Je l’appelle le Livre muet. Il n’a aucun sens. Comme
tu le constateras, ses caractères sont totalement indéchiffrables ; j’en
ai bavé pour inventer des lettres sans signification. Mais dans ce livre-là,
ajouta Hernando en fouillant parmi les documents, Histoire de la vérité de
l’Évangile, on annonce que le contenu du Livre muet sera connu plus
tard ; les deux se complétant.
Hernando faillit lui avouer que ce contenu correspondrait à celui
de l’évangile de Barnabé. Il décida finalement de ne pas le faire.
— Mais ce sera le jour où les chrétiens seront prêts à
recevoir le véritable message, qui n’aura pas été manipulé par leurs petits
papes, et qui prouve qu’il y a seulement un Dieu unique.
Tandis que Binilit acquiesçait dans un murmure, Hernando
songea à l’idée qui avait guidé ses pas : ces plombs, qui étaient un
ingénieux casse-tête élaboré autour d’une figure centrale, la Vierge Marie,
conduisaient les uns après les autres à une conclusion inévitable : le
Livre muet, l’Évangile de la Vierge, écrit dans une langue incompréhensible,
qui laisserait perplexes tous ceux qui l’étudieraient. Cependant, comme il
venait de l’expliquer à Binilit, un des plombs annoncerait l’apparition d’un
texte qui éclairerait le mystère. Ce serait l’évangile de Barnabé, qu’il
conservait farouchement. Quand les plombs seraient acceptés, et avec eux cet
énigmatique Livre muet, l’évangile de
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