Les révoltés de Cordoue
ses
doutes ou ses progrès quotidiens. Il avait besoin d’en parler avec quelqu’un,
et Luna, Castillo et don Pedro se trouvaient à des lieues de distance.
— Et qui sont ces sept apostoliques ? avait
demandé Miguel d’une voix lasse, juste pour lui faire plaisir.
— Selon la légende que reprennent plusieurs écrits,
avait expliqué Hernando, il s’agit de sept apôtres que saint Pierre et saint
Paul envoyèrent évangéliser l’ancienne Hispanie : Torcuato, Tésiphonte,
Indalecio, Segundo, Eufrasio, Cecilio et Hesicio. Les reliques de quatre
d’entre eux ont été découvertes et sont vénérées à différents endroits, mais
sais-tu… ?
Hernando avait laissé sa question en suspens. Miguel, qui
s’appuyait sur l’une de ses béquilles et arrachait de sa main libre une
mauvaise herbe, l’avait regardé avec affection : les yeux bleus de son
seigneur brillaient tant qu’il s’était obligé à changer d’attitude et lui avait
souri de toutes ses dents cassées.
— Quoi, seigneur ? Dites-moi.
— Que parmi les trois apostoliques qui n’ont toujours
pas été découverts, il y a san Cecilio, qui fut, affirme-t-on, le premier
évêque de Grenade. Je n’ai qu’à me servir de cette légende et faire apparaître
les restes de san Cecilio à Grenade. Cela concorderait même avec le parchemin
de la Turpiana ! Je pourrais…
— Seigneur, l’avait coupé Miguel, abandonnant son
jardinage et s’appuyant sur sa seconde béquille. Les évêques ne soutiennent-ils
pas que c’est saint Jacques qui a évangélisé nos royaumes ? Même moi je le
sais, et vous n’avez pas cité saint Jacques parmi les sept.
— C’est vrai, avait reconnu Hernando. Je sais ce que je
vais faire. Je vais réunir les deux légendes !
Et il avait grimpé l’escalier, comme s’il avait eu
l’intention de réaliser cette tâche à l’instant même. Miguel l’avait vu
trébucher sur une marche et tituber avant de se rétablir.
— Je vais réunir les deux légendes, avait répété
l’invalide avec sarcasme, en revenant vers la plate-bande d’où écloraient
bientôt des roses magnifiques. Je vais réunir les deux religions, avait-il
repris encore, comme il l’avait tant de fois entendu dans la bouche d’Hernando,
cherchant des tiges mortes à couper. Il n’y a qu’une seule chose qu’il faudrait
réunir, avait-il presque fini par crier dans la solitude du patio : les os
brisés de mes jambes !
Ce matin glacé de janvier, dans le patio, alors qu’il entendait
Hernando réprimander María, la Mauresque qui s’occupait des tâches domestiques,
Miguel se rappela ces paroles qu’il avait prononcées dans un accès de
frustration. En contemplant les plates-bandes qui, l’année précédente, avaient
fleuri, remplissant le patio de roses aromatiques, il éprouva un instant la
sensation que la nature se moquait de lui. Pourquoi tout renaissait-il avec
beauté à l’exception de ses jambes ? Jamais au cours de sa vie il n’avait
tant haï son invalidité que depuis un mois, depuis que Rafaela, leur voisine,
posait ses yeux innocents et émus sur ses jambes déformées. La jeune fille, qui
était la candeur même, ne pouvait s’empêcher d’y jeter un coup d’œil à la
dérobée ; puis, effrayée, elle bafouillait et détournait le regard vers son
visage.
Bien qu’il la vît aller et venir dans la maison d’à côté,
Miguel n’avait jamais fait attention à elle jusqu’à un certain soir, quelques
semaines plus tôt. Cordoue était silencieuse et il s’était rendu aux écuries
pour voir comment s’acclimatait le nouveau poulain que venait d’amener l’écuyer
de la ferme. Cinq ans auparavant, en constatant que Volador se faisait vieux,
Hernando avait décidé de restaurer la petite ferme de Palma del Río, dans
l’idée de croiser son cheval avec quelques juments rejetées, achetées aux
écuries royales. Il avait également embauché un écuyer, Toribio, qui depuis
lors, avec plus ou moins de réussite, avait pris en charge le dressage des
poulains. Quand il les estimait prêts, il les transférait aux écuries de la
maison de Cordoue.
Ce soir-là, Miguel était descendu voir un poulain du nom
d’Estudiante et qui était le petit, de même que César – l’autre cheval
établé dans les écuries de la maison –, de Volador et d’une jument de
couleur feu. Hernando s’inquiétait pour les poulains ; pour cette raison,
à toute heure, Miguel se rendait avec assiduité
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