Les révoltés de Cordoue
Barnabé, plus proche de l’islam dans son
contenu, resplendirait comme la seule et indubitable vérité.
— D’accord, avait conclu
l’orfèvre en le tirant de ses pensées. Je te ferai prévenir quand ce sera prêt.
Hernando avait mis la main dans sa poche afin de payer le
travail, mais le maestro l’avait arrêté.
— Pour mes bijoux je ne touche pas plus que le strict
nécessaire afin de pouvoir mener une vie sobre et frugale. Je suis vieux. Tout
ce que je veux, c’est que les musulmans puissent continuer à porter les bijoux
de leurs ancêtres. Tu me paieras quand les chrétiens accepteront la Parole
révélée.
Lors de ce deuxième voyage, Hernando arriva à Jarafuel après
quatre jours de voyage au côté de caravanes de marchands ou de muletiers
croisés dans des auberges où il avait passé la nuit. Sur ces routes, on pouvait
aussi bien rencontrer des bandits d’honneur, mais aussi une ribambelle de gens
de tout acabit : moines et prêtres qui se déplaçaient d’un couvent à un
autre, saltimbanques qui allaient de village en village pour proposer leurs
spectacles, étrangers et Gitans, vauriens, ainsi qu’un nombre incalculable de
mendiants expulsés des villes, qui demandaient l’aumône aux voyageurs et aux
pèlerins.
Le troisième jour, Hernando passa la nuit à Almansa. C’était
là qu’il devait quitter l’ancienne voie romaine, très empruntée, pour
s’enfoncer pendant cinq lieues sur des chemins isolés. Et il préférait le faire
de jour.
Le lendemain, alors qu’ils se étaient déjà en route,
Estudiante sentit le danger et avertit Hernando. Il avançait au pas sur un
sentier solitaire le long de la vallée fertile entourée de hautes
montagnes ; le château d’Ayora se dressait sous ses yeux, sur un rocher
escarpé, à une lieue de distance. Il n’y avait pas d’autre bruit que les sabots
du cheval. Soudain, Estudiante dressa les oreilles et fit mine de ne pas
vouloir continuer. Hernando scruta les alentours : il ne perçut aucun
mouvement, cependant Estudiante était récalcitrant, aux aguets, tendu ;
ses oreilles remuaient, raides, d’un côté à l’autre. Le cheval semblait vouloir
lui dire quelque chose. Au moment où Hernando décidait de faire confiance à
l’instinct de l’animal, avant même de l’éperonner, Estudiante lança une ruade
vers l’arrière et se mit à galoper. Hernando s’aplatit sur son cou. À quelques
mètres de là, des deux côtés du chemin avaient surgi plusieurs hommes armés,
dont il ne parvint même pas à distinguer les visages. L’un d’eux se planta,
défiant, au milieu du sentier, une vieille épée à la main. Hernando cria et
éperonna fortement Estudiante.
L’homme hésita, mais il choisit de s’écarter d’un bond du
galop frénétique de l’animal ; malgré cela, Hernando, le regard fixé sur
l’épée rouillée du bandit, interrompit brusquement la course d’Estudiante juste
au niveau de son assaillant afin que son cheval s’élance sur lui, l’empêchant
ainsi de lui flanquer un coup d’épée au passage. Estudiante répondit avec
agilité, comme s’il s’agissait d’esquiver les cornes d’un taureau, et le bandit
fut projeté au loin. Puis il reprit son galop et Hernando s’allongea à nouveau
sur son cou pour éviter deux tirs d’arquebuse. Les balles de plomb sifflèrent
dans l’air, tout près de lui.
— Volador peut être fier de toi, félicita-t-il ensuite
son cheval, lui tapotant le cou, alors que le château d’Aroya se profilait
juste au-dessus de leurs têtes.
Il continua jusqu’à Jarafuel, où il arriva sans nul autre
incident. Il chercha le jeune uléma et, en sa compagnie, se dirigea vers
l’atelier de Binilit. Puis ils attachèrent Estudiante dans un petit verger
situé à l’arrière de la maison de Munir.
— Tu es venu seul ? lui demanda l’uléma.
— Oui. Et j’ai fait une mauvaise rencontre près
d’Aroya…
— Ce n’est pas pour cela que je te pose la question, le
coupa l’uléma. Je trouverai quelqu’un pour te raccompagner, au moins jusqu’à
Almansa ; d’ailleurs, je peux le faire moi-même. Je me demandais
simplement comment tu allais pouvoir emporter tout seul le travail du maestro
Binilit. C’est colossal.
Hernando n’avait pas réfléchi au fait qu’on ne transportait
pas de la même manière des feuilles de papier et des lames de plomb. À Cordoue,
il s’était contenté de prendre des sacs qu’il avait accrochés à la
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