Les révoltés de Cordoue
assertion, exhiba
ses dents, blanches et parfaitement alignées.
— Je n’ai jamais été malade, et dans ma famille nous
sommes extrêmement fertiles.
Hernando se sentit accablé. La sincérité et la vulnérabilité
de cette voix l’ébranlaient.
— Je suis une bonne et pieuse chrétienne, et je vous
promets d’être la meilleure épouse que vous pourriez rencontrer dans tout
Cordoue. Je vous dédommagerai largement de la dot que mon père n’accordera pas,
ajouta-t-elle en guise de conclusion.
Le Maure se tint coi. Il gesticula et s’agita avec
inquiétude. La candeur de la jeune fille réveillait sa tendresse ; ses
tristes yeux noisette exprimaient une douleur étouffée que même Estudiante,
étonnamment tranquille auprès d’elle, semblait palper. Seule la respiration
nerveuse de Miguel, dans son dos, tranchait avec l’ambiance.
— Je suis nouveau-chrétien, dit finalement Hernando à
court d’arguments.
— Je sais que votre cœur est pur et généreux, affirma
Rafaela. Miguel me l’a raconté.
— Ton père ne permettra pas…, bredouilla Hernando.
— Miguel croit avoir la solution.
Cette fois il tourna la tête vers l’infirme. Il souriait de
toutes ses dents brisées, si différentes de celles de Rafaela. Hernando les
regarda l’un après l’autre. Leurs yeux anxieux paraissaient le traquer. Quelle
pouvait bien être cette solution ?
— Ce ne sera pas contraire aux lois ? demanda-t-il
à Miguel.
— Non.
— Ni à l’Église ?
— Non plus.
Comment don Martín Ulloa pourrait-il autoriser le mariage de
sa fille avec un Maure, fils d’une condamnée de l’Inquisition ?
s’interrogea-t-il alors. C’était inimaginable. Il n’avait même pas besoin de
trouver de prétextes. Le propre père de Rafaela s’opposerait à la noce.
Hernando pouvait feindre de suivre le plan proposé par Miguel. Ce ne serait pas
lui qui décevrait les attentes de chacun.
— Je suis fatigué, s’excusa-t-il. Nous en reparlerons
demain, Miguel. Bonne nuit, Rafaela.
— Attendez, seigneur, l’implora Miguel alors
qu’Hernando passait à ses côtés.
— Que veux-tu encore, Miguel ? questionna-t-il
d’une voix lasse.
— Il y a quelque chose que vous devez voir en personne.
Ça ne vous prendra qu’un petit moment supplémentaire.
Hernando soupira, mais l’attitude de Miguel l’obligea à
consentir une nouvelle fois.
— Venez, l’enjoignit le garçon. Il nous faut monter au
premier étage.
Aussitôt dit, il tourna sur ses béquilles et s’apprêta à
sortir des écuries.
— Et Rafaela ? protesta Hernando. Elle ne peut pas
entrer chez nous. C’est une jeune fille célibataire.
Miguel n’eut aucune réaction. Pour lui, il semblait évident
que Rafaela resterait là sans bouger.
— Rentre chez toi, jeune fille, dit alors Hernando.
— Impossible maintenant, répliqua Miguel en bondissant
vers la porte. C’est dangereux.
— Que veux-tu dire ?
— Elle patientera ici, avec les chevaux.
Sa voix s’éteignit derrière lui. Sans attendre, il avait
déjà sauté dans le patio.
Hernando se tourna vers Rafaela, qui lui répondit par un
sourire, et il suivit Miguel. Pourquoi la jeune fille ne pouvait-elle pas
rentrer chez elle ? Quel danger courait-elle ? Agrippé à la rampe,
Miguel montait déjà l’escalier. Hernando le rattrapa sur les dernières marches.
— Que se passe-t-il, Miguel ?
— Silence, le pria celui-ci. On ne doit pas nous
entendre. Vous allez voir.
Ils parcoururent la galerie supérieure jusqu’à l’endroit où
le bâtiment donnait sur l’impasse conduisant à la sortie des écuries. Miguel se
déplaçait lentement, s’efforçant de ne pas faire de bruit. Arrivé au bout, il
se colla au mur, caché, dans le coin qui lui permettait de voir l’impasse.
Hernando l’imita.
— Ils ne devraient pas tarder, seigneur, susurra-t-il
alors qu’ils étaient l’un à côté de l’autre, épaule contre épaule, plaqués au
mur. C’est l’heure habituelle.
Hernando se garda de poser de questions.
— Je vous félicite, seigneur, vous aurez la meilleure
femme de tout Cordoue. Que dis-je ? De toute l’Espagne !
Hernando secoua la tête.
— Miguel…
— Les voici ! l’interrompit le jeune garçon.
Maintenant silence…
Hernando tendit le cou et distingua dans l’obscurité deux
silhouettes qui s’arrêtèrent devant la petite porte par laquelle Rafaela avait
coutume de s’échapper. Il comprit alors pourquoi la
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