Les révoltés de Cordoue
Martín. J’attends votre réponse demain
soir dernier délai. Sinon…
— Tu me menaces ?
Don Martín recula d’un pas ; le doute avait envahi son
visage.
— C’est maintenant que vous vous en rendez
compte ? Je n’ai pas arrêté de le faire depuis que vous êtes entré dans
cette maison, répondit Hernando avec un sourire cynique.
— Et si ma fille ne consentait pas ? murmura le
magistrat entre ses dents.
— Pour votre bien et celui de vos enfants, il ne
vaudrait mieux pas.
Hernando mit fin à la conversation et raccompagna le
magistrat à la porte, prudent, sans jamais lui tourner le dos. L’homme était
pensif et sur le seuil même, où il trébucha, Hernando eut la conviction qu’il
avait gagné la partie. Lorsqu’il revint dans le patio il trouva Miguel,
immobile à la porte des écuries. Des larmes coulaient sur ses joues. Les jambes
pendantes et les mains agrippées aux béquilles, il était impuissant à les
essuyer, à les arrêter. Hernando ne le fit pas non plus. C’était la première
fois, s’aperçut-il, qu’il le voyait pleurer.
Le mariage eut lieu à la fin du mois d’avril de cette même
année. Hernando apprit par Miguel que Rafaela, avec intelligence, avait d’abord
refusé la proposition de son père. « Je préfère entrer au couvent que
d’épouser un Maure ! » avait-elle crié. Le magistrat don Martín
craignait pour son honneur et sa position sociale à cause de l’affaire des
enfants trouvés, mais la réaction négative de sa fille l’exaspéra davantage
encore. À grands cris, il imposa sa volonté.
L’union fut célébrée sans fête et le plus discrètement
possible, en l’absence des frères offensés de la mariée et sans dot aucune. Une
fois la cérémonie terminée, alors qu’ils revenaient de l’église, Hernando prit
conscience du pas qu’il venait d’accomplir. Rafaela pénétra dans sa nouvelle
maison la tête baissée, sans oser dire un mot. Un silence tendu s’installa
entre eux.
Hernando l’observa : cette toute jeune fille tremblait…
Qu’allait-il faire avec une épouse apeurée, de presque vingt-cinq ans sa
cadette ? Avec surprise il se rendit compte qu’il éprouvait lui aussi une
certaine angoisse. Depuis combien de temps ses rencontres amoureuses se
réduisaient-elles aux filles du bordel ? Avec un soupir il l’accompagna
dans une chambre à l’écart de la sienne. Rafaela entra, toute rouge, et murmura
quelque chose à voix si basse qu’il ne put la comprendre. Hernando regarda les
mains de son épouse : tant elle les avait frottées, la peau en était tout
arrachée.
Il se réfugia dans la bibliothèque.
Le lendemain, Miguel vint lui parler. Le visage rouge, il
lui annonça en bafouillant son intention de quitter Cordoue pour s’installer à
la ferme, prétextant qu’il devait surveiller Toribio, la douzaine de juments
qui s’y trouvaient alors et les poulains qui naissaient. Néanmoins, tous deux
connaissaient les véritables raisons pour lesquelles l’invalide avait décidé de
s’en aller : en s’écartant, il laissait le champ libre au nouveau couple.
Son seigneur avait tenu parole et avait épousé la jeune fille. Miguel ne
désirait pas que sa présence dans la maison puisse être une barrière entre eux.
Il n’y eut aucun moyen de le convaincre. Hernando et son
épouse le regardèrent partir. Quand ils rentrèrent à la maison, Hernando se
sentit étrangement seul. Il mangea avec Rafaela dans un silence seulement
interrompu par des phrases de politesse puis retourna à la bibliothèque. De là,
il entendit Rafaela faire le ménage et se déplacer dans la maison ;
parfois il avait l’impression de l’entendre fredonner une chanson, puis elle
s’arrêtait aussitôt, comme si elle avait honte de faire du bruit.
Les semaines s’écoulèrent ainsi. Hernando s’habituait à la
présence de Rafaela, et elle se sentait chaque jour plus à son aise dans son
nouveau foyer. Elle se rendait au marché avec María, cuisinait pour lui, et ne
le dérangeait jamais pendant les heures qu’il passait enfermé. Elle ne lui
demandait pas ce qu’il faisait. L’été avait donné des couleurs à ses joues
pâles, et ses petits fredonnements timides et étouffés avaient laissé place à
des chansons qu’on entendait dans toute la maison.
— Pourquoi ce poulain-ci porte-t-il un mors différent
des autres ? interrogea la jeune fille un jour où Hernando s’apprêtait à
sortir à cheval.
Le
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