Les révoltés de Cordoue
Maure fut surpris. Auparavant Rafaela n’était jamais
entrée dans les écuries alors qu’il se disposait à monter. Elle désigna la
collection de harnais accrochés aux murs.
Habituellement Hernando se montrait avare de paroles. Mais
cette fois, sans s’en rendre compte ni cesser de brider le poulain, il se
retrouva à donner une leçon à son épouse.
— Cela dépend de leurs lèvres, répondit-il. Certains ont
les lèvres noires, d’autres blanches et d’autres colorées. Les meilleurs sont
ceux qui ont les lèvres noires, comme celui-ci.
Hernando fit un effort pour sangler l’animal.
— Ceux-là, il faut leur mettre un mors classique, doux,
à la bride courte…
Il s’arrêta quelques instants, tournant le dos à Rafaela,
puis il reprit la parole.
— Les mors de ce genre doivent avoir des barres
épaisses et croisées…
Alors il fit face à son épouse.
— Et une gourmette grosse et ronde, termina-t-il
d’expliquer en la regardant dans les yeux.
Rafaela lui adressa le plus doux des sourires.
— Et pourquoi t’intéresses-tu à tout cela ?
demanda-t-il.
Ils restèrent un moment l’un en face de l’autre. Finalement
Hernando s’avança. Il la prit par les épaules et l’embrassa sur la bouche,
délicatement. Un frisson parcourut le corps de la jeune fille.
Ce soir-là, Hernando l’observa pendant qu’ils dînaient. Son
épouse, animée, lui racontait une histoire amusante à propos d’un incident qui
s’était produit sur le chemin du marché. Ses lèvres fines souriaient,
découvrant ses dents blanches. Sa voix était douce, ingénue. Hernando se
surprit à rire avec elle pour la première fois.
Après dîner, ils sortirent ensemble dans le patio. La nuit
était étoilée, et les roses embaumaient l’air de leur enivrante fragrance. Ils
contemplèrent tous deux l’éclat du ciel nocturne. Alors la jeune fille lui
demanda tout bas :
— Peut-être ne veux-tu pas avoir d’enfants avec
moi ?
Confondu, Hernando la regarda des pieds à la tête.
— Et toi, tu le voudrais ? interrogea-t-il à son
tour.
Tout le courage de Rafaela semblait s’être évaporé avec sa
première question.
— Oui, murmura-t-elle, la tête baissée.
Ils montèrent en silence dans la chambre : l’immense
timidité de la jeune fille paraissait contagieuse. Hernando agit avec prudence,
tâchant de ne pas lui faire mal. Il oublia le plaisir qu’il avait recherché
avec Fatima et Isabel et ils s’étendirent sur le lit comme le faisaient les
chrétiens, la jeune fille immobile dans sa longue chemise, dissimulant son
corps, évitant le péché.
Un an et demi plus tard, leur union fut bénie par la
naissance de leur premier enfant, un garçon, qu’ils appelèrent Juan.
62.
En 1600, don Pedro de Granada Venegas réclama la présence
d’Hernando dans la ville de l’Alhambra. Le moment approchait où il faudrait
envoyer au Turc l’évangile de Barnabé, car les plombs contenant les écrits
d’Hernando et que les chrétiens avaient découverts dans les grottes de la
colline de Valparaíso, à présent rebaptisée par le peuple le
« Sacromonte », où don Pedro, Luna et Castillo les avaient cachés,
avaient atteint leur premier objectif.
Cette année-là, l’archevêque don Pedro de Castro, ignorant
les voix qui évoquaient la possibilité d’une imposture et les avertissements de
Rome qui conseillaient la plus grande prudence devant ces découvertes, qualifia
les os et les cendres trouvés au côté des plombs de reliques authentiques.
Grenade possédait enfin les reliques de son patron, san Cecilio, et de tant
d’autres martyrs qui avaient accompagné l’apôtre Jacques ! Grenade enfin
se libérait du titre de ville maure et pouvait rivaliser avec n’importe quel
siège de la chrétienté en Espagne ! Grenade était aussi chrétienne,
peut-être plus encore que Saint-Jacques-de-Compostelle, Tolède, Tarragone ou
Séville. Ici-même, sur le Mont sacré, beaucoup d’hommes saints avaient souffert
le martyre !
Mais si l’archevêque de Castro avait autorité et légitimité
pour déclarer l’authenticité des reliques, il ne disposait pas du même pouvoir
en ce qui concernait les plombs ni pour affirmer la véracité de la doctrine que
contenaient les lames et les médaillons ; c’était du ressort exclusif de
Rome, qui exigeait qu’ils lui soient envoyés. Le prélat refusait, arguant de la
complexité de leur traduction, dont étaient précisément chargés
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