Les révoltés de Cordoue
Luna et Castillo.
Telle fut la situation qu’Hernando trouva en arrivant à
Grenade : les reliques avaient été déclarées authentiques, tandis que les
plombs, qui attestaient précisément qu’il s’agissait des restes de tel ou tel
apôtre, étaient toujours à l’étude. Mais ces problèmes formels de compétence ne
semblaient pas affecter la ferveur du peuple grenadin, ni celle du nouveau roi
Philippe III, couronné deux ans plus tôt après la lente et douloureuse
agonie de son père, enthousiasmé par cette nouvelle Grenade passionnément
chrétienne.
Hernando se rendit au Sacromonte en compagnie de don Pedro
de Granada ; Castillo et Luna se dispensèrent de la visite. Les deux
hommes, à cheval, suivis par des laquais, longèrent le cours du Darro,
tournèrent à la porte de Guadix et entreprirent l’ascension du Mont sacré par
un sentier qui partait des vieux remparts autour de l’Albaicín. Hernando
ignorait ce chemin. Il n’était pas venu à Grenade depuis trois ans, depuis
qu’il leur avait apporté, enfin, la transcription tant espérée de l’évangile de
Barnabé, que Luna et Castillo avaient pu étudier à leur aise. Par ailleurs,
comme la découverte des plombs avait refroidi l’intérêt du conseil de la
cathédrale pour les martyrs des Alpujarras, il avait cessé de collaborer avec
lui.
— Depuis que la première lame a été découverte, lui
commenta don Pedro pendant leur ascension, miracles et apparitions se sont
succédé. Une grande partie des Grenadins, et parmi eux toutes les religieuses
d’un couvent, a témoigné devant l’archevêque avoir vu des lumières étranges sur
la montagne, et même des processions éthérées, illuminées par des feux sacrés,
qui se dirigeaient vers les grottes. Tu te rends compte ? Un couvent
entier de religieuses !
Hernando secoua la tête, geste que don Pedro ne manqua pas
de percevoir.
— Tu ne me crois pas ? lui demanda-t-il. Alors
écoute ceci : une fillette paralysée a prié dans les grottes et elle a été
guérie ; la fille d’un officier de la chancellerie, prostrée au lit depuis
quatre ans, a été amenée jusqu’ici sur une litière et elle est revenue en
marchant sur ses deux jambes ; des dizaines de personnes ont témoigné pour
le dossier de qualification des reliques. Même l’évêque du Yucatán est venu des
Indes pour demander aux martyrs la guérison d’un herpes militaris dont
il souffrait ! Il a célébré la messe, puis il a ramassé dans les grottes
de la terre mêlée d’eau bénite avant d’appliquer sur son herpès la pâte ainsi
obtenue… Soigné aussitôt ! Un évêque ! Il a également témoigné. Bien
d’autres guérisons et miracles se sont produits sur le Sacromonte.
— Don Pedro…, voulut ironiser Hernando.
— Regarde, l’interrompit le noble.
Ils approchaient de l’endroit de la colline où se trouvaient
les grottes. Hernando suivit la main de don Pedro, qui brassait l’air pour tenter
de désigner tout ce qui s’étendait devant eux.
— Voici le résultat de ton travail.
Une forêt de plus de mille croix s’élevait devant la petite
entrée de la mine, où les pèlerins s’étaient regroupés autour des minuscules
chapelles et des demeures des prêtres. Les deux cavaliers stoppèrent leurs
montures. Le cheval coloré que montait Hernando s’agitait, inquiet. Le Maure
balaya l’endroit du regard, s’attardant sur les croix et les fidèles
agenouillés. Certaines étaient de simples croix en bois. D’autres cependant
étaient en pierre finement ciselée, immenses, installées sur de grands
piédestaux. « Le résultat de mon travail », susurra-t-il. Lorsqu’il
s’était rendu à Grenade pour remettre les premiers plombs, il doutait de la
crédibilité de son œuvre. Mais la naïveté du peuple était sans limites.
— C’est impressionnant, siffla-t-il, admiratif, tordant
le cou pour parvenir à voir l’extrémité de la croix qui s’élevait à côté de
lui, très haut.
— Toutes les églises de la ville ont érigé des croix,
expliqua don Pedro en regardant dans la même direction qu’Hernando. Les
couvents ont fait de même, ainsi que le conseil de la cathédrale, les conseils
d’administration, les écoles et les confréries : ciriers, forgerons,
tisserands, charpentiers, la chancellerie et les notaires. Tout le monde. Ils
montent ici en processions avec leurs croix, escortés par des gardes d’honneur
au son des fifres et des timbales, en
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