Les révoltés de Cordoue
assaillirent son corps, comme si lui-même désirait être brisé en
petits morceaux. Il avait passé toute sa vie persuadé que sa famille avait été
assassinée par Ubaid !
— Fatima ! réussit-il à crier.
— Tu vas mourir, déclara Shamir.
— La mort est une longue espérance, répondit Hernando,
sans réfléchir.
Abdul tira une dague de sa ceinture. Dans la clairière, les
Maures assistaient dans un respectueux silence au couronnement de leur roi.
« Je jure de mourir pour le Dieu unique », entendit-on dans la forêt
au moment où l’homme qui tenait la torche tira les cheveux d’Hernando pour
dégager son cou. La lame de la dague brilla.
Fatima ! Le souvenir de sa femme envahit Hernando.
— Qui es-tu, toi, pour me donner la mort ? se
rebella-t-il alors. Je ne mourrai pas avant d’avoir pu parler avec ta mère. Je
ne te laisserai pas me tuer avant d’avoir obtenu son pardon ! Je vous ai
cru morts, et Dieu seul sait combien j’ai souffert. Que Fatima décide de mon
pardon ou de mon châtiment ; pas toi. Si je dois mourir, que ce soit elle
qui l’ordonne.
Mû par un soudain accès de rage, Hernando poussa son fils
qui, pris au dépourvu, tomba à terre. Hernando tenta de se lever, mais
l’alfange de Shamir menaça sa poitrine. Hernando l’empoigna. La lame blessa la
paume de sa main.
— Tu crois que je vais m’échapper ? cria-t-il en
ouvrant les bras pour montrer qu’il ne portait pas d’arme. Me battre contre
vous ? Je veux me livrer à Fatima. Je veux que ce soit elle qui plante cette
lame, si elle croit réellement que j’aurais été capable de renoncer à elle, à
vous, sachant que vous étiez vivants.
Pour la première fois il réussit à distinguer le visage de
Shamir, et reconnut en lui les traits de Brahim. Shamir interrogea Abdul du
regard et, après quelques instants d’hésitation, celui-ci hocha la tête :
Fatima méritait de se venger en personne, comme elle l’avait fait avec Brahim.
À ce moment-là, dans la clairière, le couronnement s’acheva.
Les applaudissements et les vivats des Maures éclatèrent.
La plupart des délégués et des chefs maures profitèrent de
la nuit pour commencer à retourner vers leurs villages. Le Français Panissault
repartit avec la promesse des cent vingt mille ducats qui lui seraient remis
dans la ville de Pau, dans le Béarn français, province dont le duc de La Force
était le gouverneur. Dans la bousculade des gens qui se disaient au revoir,
Munir se s’était pas aperçu de l’absence d’Hernando, mais peu à peu il
s’inquiéta et se mit à sa recherche. Ne le trouvant nulle part, il se dirigea à
l’endroit où ils avaient laissé les mules : toutes deux étaient toujours
là, attachées.
Où pouvait-il être ? Il ne serait pas parti sans lui
dire au revoir, ni sans la mule ; son cheval était à Jarafuel. Il
interrogea plusieurs Maures, en vain. Un des Arabes qui collaborait au projet
de rébellion, chargé et pressé, passa à côté de lui.
— Hé, l’interpella-t-il, tu connais Hernando Ruiz, de
Cordoue ? Tu l’as vu ?
L’homme, qui avait ralenti à l’appel de l’uléma, bafouilla
une excuse et reprit rapidement son chemin dès qu’il entendit le nom prononcé.
Étrange attitude, s’étonna Munir en observant l’Arabe se
diriger vers le bois. Plus loin, l’homme tourna la tête, mais lorsqu’il
constata que l’uléma continuait à le regarder, il accéléra l’allure. Sans
hésiter un seul instant, il lui emboîta le pas. Que cachait ce corsaire ?
Que se passait-il avec Hernando ?
Il n’eut pas le temps de se poser davantage de questions. À
peine était-il entré dans la forêt que plusieurs hommes s’élancèrent sur lui et
l’arrêtèrent, tandis qu’un autre le menaçait avec une dague.
— Un seul cri et tu es un homme mort, l’avertit Abdul.
Que veux-tu ?
— Je cherche Hernando Ruiz, répondit Munir en tâchant
de garder son calme.
— Nous ne connaissons aucun Hernando Ruiz…, commença à
dire Abdul.
— Alors, l’interrompit l’uléma, quel homme cachez-vous
là ?
Même dans la pénombre, les brodequins d’Hernando se
détachaient entre les jambes du groupe des quatre Arabes qui s’efforçaient de
le dissimuler. Tous portaient des tenues de marin. Abdul se tourna vers
l’endroit que désignait Munir.
— Lui ? indiqua-t-il avec cynisme, comprenant
qu’il était impossible de nier la présence d’un étranger parmi le groupe. C’est
un
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