Les révoltés de Cordoue
Laila,
d’abord hésitante puis résolue, se joignit à celle de son frère.
Ils y arriveront ! sourit-il en entendant ses enfants
crier.
Comme une armée imparable, les chevaux se mirent en
mouvement. Hernando crut qu’il ne pourrait pas les contrôler, mais à l’arrière
ses enfants allaient et venaient d’un côté à l’autre pour les stimuler et les
maintenir groupés.
— Attention ! Écartez-vous ! criait-il sans
répit.
Les enfants faisaient comme lui. Les gens se plaignaient et
les insultaient. Sur leur passage, les Maures s’écartaient en bondissant. Ils
piétinèrent des affaires et emportèrent des tentes. Lorsqu’ils passèrent
au-dessus d’un petit feu, Hernando comprit que les animaux avançaient à
l’aveuglette parmi la foule : dans d’autres conditions, ils n’auraient
jamais agi ainsi.
— Attention !
Il fut contraint de tirer violemment les chevaux de tête
pour les empêcher d’écraser une vieille femme. Plus d’un Maure fut bousculé par
les bêtes qui avançaient de travers.
L’Arenal avait beau être étendu, le temps avait passé et
Hernando distingua devant lui le corps de garde, les soldats intrigués par le
tapage.
— Maintenant, les enfants ! Fuyez ! Au
galop ! cria-t-il.
Il n’eut pas besoin de les forcer. L’espace libre qui
s’ouvrait devant eux, où se tenaient les derniers Maures et la garde, les
poussa à s’élancer dans un galop frénétique. Hernando courut à côté du cheval
libre au galop et s’accrocha à son crin afin de monter dessus en profitant de
la panique. Il eut du mal à le faire ; devant l’effort, ses muscles lui
faisaient défaut. Sa première tentative échoua et sa jambe droite resta à
mi-croupe, mais dès qu’il retoucha le sol, sans même faire un pas de plus, il
réussit à se hisser avec force. Les autres bêtes, sans Amin et Laila pour les
asticoter, partirent dans tous les sens. Atterrés, les soldats virent arriver
sur eux onze chevaux au galop : un troupeau d’animaux déchaînés, fous.
— Allahu Akbar !
Il n’avait pas fini d’invoquer son Dieu quand il tira sur
les deux longues cordes qu’il avait attachées aux pattes avant des deux autres
chevaux de tête. Les animaux trébuchèrent, s’étalèrent de tout leur long et
firent un tonneau. À la lumière des torches, Hernando parvint à distinguer la
panique sur le visage des soldats lorsque tous les animaux s’affalèrent et
roulèrent sur les hommes et les petites baraques. Lui, sur le cheval libre,
galopa à l’extérieur de l’Arenal, laissant sur place un corps de garde détruit.
Il sauta à terre de la même manière qu’il était monté et
courut vers les herbes de la rive. Les hennissements et les cris au loin
résonnaient dans la nuit.
— Rafaela ? Amin ?
D’interminables secondes passèrent avant que quelqu’un lui
réponde.
— Ici.
Dans le noir total, il reconnut la voix de son fils aîné.
— Et ta mère ?
— Ici, répondit Rafaela un peu plus loin.
Il tressaillit en entendant sa voix. Ils avaient
réussi !
69.
Ils prirent la direction de Grenade, sachant qu’en cas
d’arrestation ils risquaient la mort ou l’esclavage. Les chefs des milices
cordouanes connaissaient forcément l’identité d’Hernando : il était le
propriétaire des chevaux. Et son nom, ainsi que celui de ses enfants,
n’apparaissait pas sur les listes d’embarquement.
— Aux Alpujarras ! décida-t-il.
Là-bas, certains villages étaient abandonnés. Avec sa mule,
Miguel n’avait eu aucun problème pour sortir de l’Arenal, et il les avait
retrouvés derrière les remparts de la ville. Ils avaient perdu leurs
magnifiques chevaux, mais peu importait désormais.
Au terme d’un long voyage de Séville aux Alpujarras, au
cours duquel ils évitèrent les chemins, se cachèrent des gens, volèrent le peu
de nourriture qu’ils purent dénicher dans la campagne en hiver, et attendirent
à l’extérieur des villages, dissimulés, que Miguel obtienne quelque aumône, ils
trouvèrent refuge près de Juviles, à Viñas, un endroit désert depuis
l’expulsion de ses habitants après la rébellion.
Le froid était encore intense et les sommets de la Sierra
Nevada recouverts de neige. Hernando les contempla puis posa les yeux sur ses
enfants ; c’était là qu’il avait passé sa prime enfance. Il interdit de
faire du feu, excepté la nuit. Ils s’installèrent dans une maison branlante que
Rafaela et les enfants
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