Les révoltés de Cordoue
le Prophète, pour tous nos frères.
Elle tendit la main vers le manuscrit.
— N’oublie pas que je t’ai aimée, ajouta alors
Hernando, et que je t’aimerai jusqu’à…
Il se racla la gorge et se tut un instant.
— La mort est une longue espérance, murmura-t-il.
Mais avant même qu’il termine sa phrase, Fatima était déjà
partie.
Une fois seulement que Fatima eut disparu parmi la foule,
Hernando réalisa combien les paroles qu’elle avait prononcées étaient justes.
Il balaya l’Arenal du regard et son ventre se noua. Des milliers de Maures
étaient prisonniers ; les soldats et les scribes donnaient des ordres sans
relâche ; les gens étaient embarqués de force ; marchands et camelots
cherchaient à profiter jusqu’au bout de toutes ces familles ruinées ; des
prêtres veillaient à ce que personne n’emmène d’enfants en bas âge.
— Qu’allons-nous faire, Hernando ? demanda
Rafaela, soulagée de voir s’éloigner cette femme.
Ils étaient de nouveau réunis, ils étaient une famille. Les
enfants les entouraient et attendaient, impatients, collés à lui.
— Je ne sais pas.
Il ne parvenait pas à détacher son regard de Rafaela et des
enfants. Il avait failli les perdre…
— Même si, d’une façon ou d’une autre, tu réussissais à
embarquer comme Mauresque, ils ne laisseraient jamais passer les enfants. Ils
nous les prendraient. Il faut d’ici. Il n’y a pas d’autre solution.
Sous la splendeur que le coucher de soleil arrachait aux
azulejos de la Torre del Oro, Hernando examina les remparts de la ville.
Rafaela fit de même, ainsi que Miguel. Derrière eux, point de sortie : les
remparts et l’alcázar fermaient le passage. Un peu plus loin se trouvait la
porte de Jerez, qui donnait accès à la ville mais, à l’instar de celles de
l’Arsenal et de Triana, elle était gardée par une troupe de soldats. Il restait
le Guadalquivir. Rafaela et Miguel virent Hernando secouer la tête. C’était
impossible ! En aucun cas ils ne parviendraient à s’approcher des bateaux,
avec les scribes et les prêtres qui surveillaient la rive. La seule issue était
l’endroit par lequel ils avaient rejoint l’Arenal, à l’autre extrémité,
extra-muros, en dépit des nombreux soldats qui y étaient postés. Mais comment
faire ?
— Attendez-moi ici, ordonna-t-il.
Il traversa l’Arenal. Un corps de garde était installé à
l’entrée, en armes, dans de petites baraques construites de manière précaire
pour accueillir les colonnes de Maures. Hernando remarqua toutefois que les
soldats tuaient le temps en bavardant ou en jouant aux cartes. Plus personne
n’entrait et aucun Maure ne tentait de sortir. Les chrétiens quittaient
l’Arenal par les portes d’accès à la ville. Ils étaient cernés par les
remparts. Cependant… ils devaient sortir de là !
Il revint à la Torre del Oro à la tombée de la nuit ;
l’heure de la prière. Hernando regarda le ciel et implora l’aide divine. Puis
il se réunit avec Rafaela et Miguel, Amin et Laila. C’était risqué, très
risqué.
— Où sont les hommes que tu as emmenés avec les chevaux ?
demanda-t-il à Miguel.
— En ville. Il en reste un, de garde.
— Dis-lui de rejoindre ses compagnons. Dis-lui… que
j’aimerais passer ma dernière nuit ici seul avec mes chevaux. Il le
croira ?
— Cela ne lui fera ni chaud ni froid. Il ira s’amuser.
Je les ai payés. Ils ont de l’argent et la ville bouillonne.
Miguel fut bientôt de retour.
— C’est fait.
— Bien. Toi, en tant que chrétien, tu peux sortir
d’ici…
Miguel voulut protester, mais Hernando l’en empêcha.
— Fais ce que je te dis, Miguel. Nous n’aurons qu’une
seule chance. Quitte l’Arenal par n’importe quelle porte, traverse la ville et
sors par une autre porte. Attends-nous après les remparts.
— Et elle ? interrogea l’infirme en montrant
Rafaela. Elle est chrétienne, elle aussi, elle pourrait sortir avec moi…
— Avec les enfants ? Ils ne passeront pas le corps
de garde. Ils croiront qu’elle les a volés et nous les perdrons. Quelle excuse
pourrait donner une femme chrétienne pour justifier qu’elle se trouve dans
l’Arenal avec ses enfants ? Elle serait arrêtée. C’est certain.
— Mais…
— Va, Miguel.
Hernando étreignit son ami et l’aida à se hisser sur sa
mule. C’était peut-être la dernière fois qu’il le voyait.
— La paix, Miguel, lui dit-il lorsqu’il
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