Les révoltés de Cordoue
d’allumer des feux et elles ne sont qu’une masse
d’ombres informes. Si on y va maintenant, on n’arrivera pas à les trouver, et
la confusion sera telle que les soldats nous découvriront.
Et les hommes ? pensa Hernando. Et Hamid ? Ils
parlaient seulement des femmes et des enfants.
— Et les hommes restés au château ? demanda-t-il.
— Je crois qu’ils les ont enfermés chez eux.
— Comment pourrons-nous les délivrer ? interrogea
Hernando en un chuchotement.
— On a le temps d’y penser, lui répondit un Maure. On
doit attendre jusqu’au matin. Avant, on ne pourra rien faire, ajouta-t-il.
— À la lumière du jour ? Quelles seront nos
chances alors ? Comment ferons-nous ? dit le garçon avec surprise.
Il n’obtint pas de réponse.
Le froid de la nuit les enveloppa. Dans l’attente du matin,
ils se cachèrent derrière des buissons et communiquèrent par murmures. Hernando
apprit tout sur les femmes et les enfants des hommes de Cádiar. De son côté, il
leur avoua comment dans cette église, et ici même, sur cette terrasse, il avait
fini par découvrir l’intense blessure de sa mère.
Au bout d’un certain temps, au cœur de la nuit, le silence
écrasa le village. Les soldats chrétiens sommeillaient près des feux et les
quatre Maures commencèrent à sentir leurs muscles s’engourdir. La Sierra Nevada
ne leur accorderait pas de trêve.
— On va mourir de froid.
Hernando entendit claquer les dents d’un de ses compagnons.
Il eut un mal fou à bouger ses doigts agrippés à l’épée : on les aurait
crus collés au fourreau.
— Il va falloir qu’on trouve un abri jusqu’à l’aube…,
commença à dire quelqu’un, lorsqu’un cri aigu de femme, provenant de la place,
l’interrompit.
— Halte ! Qui va là ? s’exclama un soldat
posté près d’un feu.
— Il y a des Maures armés parmi les femmes !
affirma-t-on depuis un autre feu.
Ce furent les dernières paroles qu’ils purent entendre
clairement. Hernando et ses compagnons s’interrogèrent. Des Maures armés ?
Hernando passa la tête au-dessus des buissons qui leur servaient d’abri. Les
cris des femmes et des enfants se mêlaient aux ordres des soldats. Des dizaines
d’entre eux partaient en courant des foyers en direction de la place avec leurs
épées et leurs hallebardes prêtes au combat. Ils se fondirent parmi les ombres.
Le premier tir d’arquebuse retentit ; Hernando put voir l’étincelle, le
scintillement, et un grand nuage de fumée au sein de la multitude opaque qu’on
devinait près de l’église.
D’autres coups de feu retentirent, des éclairs parmi les
ombres, des cris.
Hernando fut le premier à sauter et il courut vers l’église,
brandissant des deux mains son épée dégainée. Les trois Maures de Cádiar le
suivirent. Sur la place, après quelques moments d’indécision, les femmes
tentaient de se défendre contre des soldats qui les frappaient sans
discrimination, à coups d’épée et de hallebarde.
— Il y a des Maures ! entendit-on dans la
confusion de la foule.
— On nous attaque ! criaient les soldats chrétiens
disséminés de toute part.
L’obscurité était totale.
— Mère ! se mit à hurler Hernando à son tour.
Dans les ténèbres, les arquebusiers chrétiens se tiraient
dessus. Hernando trébucha sur un cadavre et faillit tomber. À sa droite, tout
près, un tir étincela, en même temps qu’une grande quantité de fumée
enveloppait le lieu. Il fit tournoyer son épée parmi la fumée dense et sentit
que l’arme s’enfonçait dans de la chair. Au même instant, il entendit un cri
mortel.
— Mère !
Il continua, l’épée en l’air. Il ne voyait pas ! Il ne
voyait rien !
Il ne pouvait reconnaître personne dans ce chaos. Une femmel’attaqua.
— Je suis maure ! lui cria-t-il.
— Santiago ! put-il entendre en même temps dans
son dos.
Lancée dans son dos, la hallebarde chrétienne le frôla et se
planta dans l’estomac de la femme. Hernando sentit le dernier souffle de
chaleur de la Mauresque sur son propre visage, lorsque celle-ci se raccrocha à
lui, blessée à mort. Il se dégagea de cette terrible étreinte, se retourna et
asséna un coup d’épée. La lame heurta le métal d’un casque et glissa dessus,
avant de se planter dans l’épaule du chrétien. Pendant ce temps, la femme
tombait, s’agrippant à ses jambes.
— Mère ! cria-t-il une nouvelle fois.
Les corps de femmes et d’enfants sur
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