Les révoltés de Cordoue
espérance, lui dit la jeune
fille. Tu te souviens ?
Ils étaient au-dessus d’un ravin, entourés de terrasses en
espaliers et de végétation. La lune semblait vouloir juste éclairer leurs
visages.
— Je…, tenta de s’excuser Hernando.
— Ton beau-père a demandé ma main au roi, le
coupa-t-elle, et…
— Le roi s’est rétracté.
Il aurait aimé voir trembler le reflet de la lune sur le
visage de Fatima ; voir étinceler ses dents blanches sous cette lune
ambrée ou luire ses yeux noirs, mais il ne rencontra que des traits impassibles
et un silence brutal.
— Il m’a accordé ta main, reconnut ensuite le garçon.
Quelques instants passèrent ; tous deux demeurèrent
silencieux.
— Je suis donc à toi, dit-elle sans émotion, fendant
par ses paroles l’air froid qui les séparait. Tu m’as sauvé la vie à plusieurs
reprises… Aujourd’hui encore. Jouis de moi comme le dit le Prophète, mais…
— Tais-toi !
— Tu peux me prendre, mais tu n’auras jamais mon cœur.
— Non !
Hernando se retourna et s’éloigna de quelques pas. Il aurait
voulu ne pas entendre cela. Que pouvait-il dire pour excuser sa conduite lors
de cette fameuse nuit ? Rien, conclut-il.
— Fais en sorte de suivre mes pas, dit-il finalement,
forçant la voix, abattu, le visage caché, avant de reprendre la route vers les
sommets. Tu pourrais tomber.
Pendant le mois qu’avait duré le voyage d’Hernando à Adra,
Brahim s’était installé dans une des nombreuses grottes situées au-dessus de
Válor et de Mecina, de même qu’Abén Humeya en personne et tous ceux qui lui
restaient fidèles.
Une fois qu’ils furent dans la montagne, au milieu de cet
ensemble de sommets recouverts de la neige de février, la jeune fille guida
Hernando ; le troupeau de mules, baigné par la lumière de la lune, se
dessinait près de l’entrée de la grotte. Hernando entreprit d’avancer. Fatima
hésitait, n’osant pas entrer.
— Brahim ?
La voix précéda l’apparition d’une silhouette qui se découpa
à l’entrée de la caverne. C’était Aisha.
— Non. C’est Fatima. Je suis avec Ibn Hamid. Il… ?
Et Brahim ? Il est revenu ?
— Non, pas encore.
Fatima se hâta d’entrer.
— Attends-moi… ! dit Hernando en essayant de
l’arrêter.
La jeune fille ne prit même pas la peine de ralentir.
Aisha resta immobile, debout, devant son fils.
— Je suis désolé, mère, murmura-t-il. J’ai dû partir,
par ordre du roi. Brahim ne te l’a pas dit ?
Sa mère le serra fortement dans ses bras, presque malgré
elle. Puis, séchant ses larmes et secouant négativement la tête, elle s’écarta
de lui et suivit la jeune fille à l’intérieur de la sombre grotte. Hernando
demeura seul, les bras ballants. Il observa le troupeau de mules et marcha vers
elles. Il les palpa, à la recherche de la Vieille, qui s’ébroua et tourna
docilement le cou pour recevoir la caresse que le garçon aurait voulu donner à
sa mère.
Brahim mit près de quinze jours pour revenir. C’était le temps
qu’il avait fallu pour le rétablissement d’Abén Aboo, au côté de qui il était
resté en permanence. Pendant ces deux semaines, Hernando n’entra pas une seule
fois dans la grotte. Il dormait dehors, sans qu’Aisha ou Fatima ne lui adresse
la parole. Sa mère lui avait parlé une seule fois le matin suivant, lorsqu’elle
lui avait servi le petit déjeuner, près des mules.
— Tu t’es enfui sans explication.
Hernando avait bredouillé une excuse, mais Aisha l’avait
coupé d’un geste sec de la main.
— Tu t’es enfui, et cela a encouragé la lascivité de
ton beau-père que tu ne connais que trop. Tu lui as livré Fatima. Tu l’as
lâchement abandonnée aux mains de Brahim… et moi aussi.
— Je ne me suis pas enfui ! Le roi m’a chargé
d’une mission. Brahim le savait et il m’avait promis de te le dire !
était-il parvenu à s’excuser. Et quant à Fatima… j’ai tout arrangé. Le roi a
fait marche arrière : elle n’aura pas à se marier avec Brahim.
Aisha avait hoché négativement la tête, la bouche fermement
serrée et le menton tremblant, avant de se retourner pour cacher les larmes qui
noyaient ses yeux.
Hernando s’était tu, impressionné par la réaction de sa
mère.
— Tu ne sais pas ce que tu dis, avait sangloté Aisha.
Tu n’as pas idée des conséquences que va entraîner ce revirement du roi.
Mais Aisha ne pleura pas quand Brahim la frappa
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