Les révoltés de Cordoue
l’équipement et une foule de gens
inutiles, femmes, enfants, malades et vieillards fermaient la marche.
Tous avançaient vers Ugíjar au son des timbales et des
pipeaux, salués avec enthousiasme par les habitants qui se consacraient à la
culture des terres qu’ils traversaient, car tel était l’ordre du roi : on
ne pouvait se passer du labourage. Les chrétiens recevaient des vivres de
l’extérieur de Grenade, mais eux seuls disposaient de leurs propres
ressources ; la trêve inespérée offerte par la prise de pouvoir de Jean
d’Autriche, toujours empêtré dans des discussions en ville, leur donnait l’opportunité
de semer et de récolter une nouvelle culture.
Hernando chevauchait cambré, dominant son cheval moreau, le
freinant constamment pour qu’il ne devance pas le groupe de cavaliers qui le
précédait, car parmi eux se trouvait Brahim, devenu l’inséparable compagnon
d’un Abén Aboo dont la monture était recouverte de plusieurs couches de peau de
mouton, à cause de ses cicatrices. Mais, malgré tout, il ne pouvait éviter de
grimacer de douleur. Abén Aboo chevauchait au côté de son cousin, le roi, et
Brahim se tenait derrière lui.
De sa monture, Hernando ne parvenait pas à distinguer
l’arrière-garde de l’armée car les grands chefs monfís qui chevauchaient
derrière lui l’en empêchaient. C’est là que se trouvaient les femmes, parmi
lesquelles Aisha et Fatima, et les mules, veillées par Aquil et un garçonnet
débrouillard dénommé Yusuf, qu’Hernando avait connu dans les grottes et à qui
il avait demandé d’aider son demi-frère. Comment Aquil aurait-il pu contrôler
tout seul le troupeau ?
Ugíjar les accueillit en grande pompe, au son de la musique
et de la fête. Ce n’était plus la ville qu’ils avaient fuie devant les
chrétiens. Dans l’église collégiale, on travaillait dur pour transformer le
temple en mosquée. Les cloches que les Maures haïssaient tant apparaissaient détruites
au pied du clocher, et dans le triangle formé par les trois tours défensives du
lieu se trouvait un souk qui s’étalait dans les rues adjacentes. Tout était
couleurs, odeurs et brouhaha, et il y avait surtout plein de gens
nouveaux : Arabes, corsaires et marchands musulmans venus de l’autre côté
du détroit. La plupart d’entre eux étaient habillés comme les Maures,
quelques-uns avec des djellabas, mais certains arboraient un physique qui
étonna franchement Hernando : blonds et grands, à la peau laiteuse ;
roux aux yeux verts. On pouvait aussi voir des Noirs, libres. Tous déambulaient
parmi les Arabes à la peau hâlée comme s’ils appartenaient à leurs clans.
— Des renégats chrétiens, commenta El Gironcillo quand,
ébahi devant un imposant albinos caucasique, Hernando faillit se heurter à lui.
L’albinos lui sourit de façon étrange, comme… comme s’il
l’invitait à mettre pied à terre et à le suivre. Hernando se tourna, troublé,
vers le monfí.
— Ne leur fais jamais confiance, lui conseilla El
Gironcillo dès qu’ils eurent quitté l’albinos, leurs coutumes sont assez
différentes des nôtres : ils aiment les jeunes garçons comme toi. Les
renégats sont les véritables maîtres d’Alger ; la Corse est à eux et ils
nous méprisent. Tétouan est maure ; Salah, La Mámora et Vélez aussi, mais
Alger…
— Ce ne sont pas des Turcs ? l’interrompit
Hernando.
— Non.
— Alors ?
— À Alger, avec les renégats, vivent de véritables
janissaires turcs envoyés par le sultan.
El Gironcillo se hissa sur ses étriers et jeta un coup d’œil
sur le souk.
— Non. Ils ne sont pas encore arrivés. Tu les
reconnaîtras dès qu’ils seront là. Les janissaires ne dépendent pas du bey
d’Alger, seulement du sultan, duquel ils reçoivent des ordres à travers leurs
aghas, leurs propres chefs. À son époque, il y a une quarantaine d’années, Jayr
ad-Din, que les chrétiens appellent Barbe Rouge, soumit son royaume à la
Sublime Porte, à notre sultan, qui doit nous aider dans notre combat contre les
chrétiens… Mais ne t’y trompe pas : les renégats qui dominent Alger ne
sont pas fiables, surtout pour de beaux garçons comme toi.
Il rit.
— Ne leur tourne jamais le dos !
Le rire du Gironcillo mit un terme à la conversation. Abén
Humeya posa le pied à terre et chercha Hernando du regard. Le jeune Maure
devait se charger des chevaux. À travers le chaos, il tenta d’apercevoir Fatima
et Aisha, mais
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