Les révoltés de Cordoue
obtenu pour
elle un peu de parfum, juste quelques gouttes, et dès qu’elle avait senti
diminuer le tapage dans la tente du roi, Fatima les avait versées entre ses
seins, fantasmant à l’idée des caresses d’Hernando.
Mais il n’était pas revenu ! Alors son désir avait
laissé place au mépris : elle s’était imaginée crachant à ses pieds dès
qu’il reviendrait, lui tournant le dos, lui criant après… Le frappant
même ! Puis il y avait eu l’empressement honteux de Brahim, ses regards
lascifs, ses frôlements, ses insinuations constantes… Lorsqu’elle avait su que
Brahim, informé de la mort de son époux et du fait qu’elle n’avait pas de
famille, avait demandé sa main au roi, elle avait maudit Hernando et l’avait
insulté entre ses larmes. La nuit où Hernando l’avait sauvée à Mecina et lui
avait appris la décision du roi, elle s’était sentie offensée et soulagée en
même temps. Certes, elle n’était plus contrainte de se marier avec l’odieux
Brahim, mais que croyait Hernando ? Que le roi ou lui allaient, sans en parler
avec elle, décider de son avenir et de celui de son fils ?
Cependant les jours passaient et Hernando revenait toujours
pour veiller sur Aisha et elle, valide ou boiteux parfois à cause d’une chute,
résigné au mépris avec lequel il était traité, mais également toujours prêt à
venir les défendre : il l’avait démontré en supportant sans protester les
coups de Brahim. Dans son dos, ils l’appelaient tous le nazaréen. Aisha s’était
vue obligée de raconter à Fatima la raison de ce surnom et la jeune fille, pour
la première fois depuis le retour d’Hernando, avait senti sa gorge se nouer.
Hernando croyait-il qu’elle le méprisait comme les autres ? Que pouvait-il
penser là-bas, tout seul parmi ses mules ?
Un soir, alors qu’Aisha s’apprêtait à apporter à son fils
son dîner, Fatima lui demanda la terrine afin de la lui porter elle-même. Elle
voulait s’approcher de lui. Elle était si obnubilée par le tremblement de sa
main qu’elle ne remarqua pas la réaction préoccupée d’Aisha à cette requête.
Hernando l’attendait debout ; il pouvait à peine croire
que c’était bien Fatima qui marchait vers lui.
— Que la paix soit avec toi, Ibn Hamid, commença à dire
Fatima en face de lui, lui tendant sa nourriture.
— Chienne ! entendit-on crier Brahim devant les
grottes.
La terrine tomba des mains de la jeune fille.
Fatima se retourna et vit Brahim, à la lumière du foyer,
frapper Aisha. Hernando fit deux pas en avant, la main sur son épée, mais il
s’arrêta. Brahim leva les yeux et les fixa sur Fatima. Alors la jeune fille
comprit la grimace d’Aisha : elle avait voulu la prévenir du regard. Si
Fatima s’approchait d’Hernando, c’est elle qui en paierait les conséquences. Le
visage de Brahim exprimait une satisfaction malsaine, tandis qu’il levait la
main pour se défouler une fois de plus sur son épouse. Fatima revint en courant
à la grotte. Brahim la vit passer à côté de lui et éclata de rire.
16.
En avril 1569, l’armée maure recomposée et ses partisans,
parmi lesquels des femmes et des enfants, marchèrent en direction d’Ugíjar avec
à leur tête Abén Humeya et ses proches : Hernando, fier sur son cheval, en
faisait partie. La longue colonne était menée par une garde d’arquebusiers qui
arborait le nouvel étendard vermeil adopté par Abén Humeya.
Le roi et ses lieutenants étaient suivis par la cavalerie
maure, puis par l’infanterie qui, cette fois, avait été disposée en ordre,
conformément aux tactiques chrétiennes : répartie en escouades dirigées
par des commandants qui portaient leurs propres drapeaux, en partie
confectionnés pendant l’attente dans les grottes au-dessus de Mecina, en
taffetas ou en soie, blancs, jaunes ou carmin, avec des lunes d’argent ou d’or
au centre, des franges en soie ou en or, des glands ornés de perles. Mais
d’autres escouades se déployaient, arrogantes, sous des étendards et de vieux
drapeaux récupérés, datant de l’époque où les musulmans dominaient Al-Andalus,
comme celui des habitants de Mecina, en taffetas carmin brodé d’or, avec un
château à trois tours d’argent au centre, ou un autre volé aux chrétiens, tel l’étendard
du Saint-Sacrement d’Ugíjar, en damas carmin avec des glands en soie et or, sur
lequel les Maures avaient brodé des lunes d’argent.
Comme c’était l’usage,
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