Les Roses De La Vie
public le parti soit de se taire, soit d’être fort
épargnant de ses paroles. Après coup, il aimait présenter cette façon d’être
comme un trait de caractère inné. Il disait à son gouverneur en ses
enfances : « Savez-vous pas, Monsieur de Souvré, que je ne suis pas
grand parleur. » Et dans les années qui nous occupent il confiait au nonce
Corsini : « Je ne suis pas faiseur de phrases. »
Une fois le maître en son royaume, il découvrit néanmoins
que ce « trait de caractère » comportait des avantages. La discrétion
et le secret sont faciles à qui parle peu. Et cette réserve lui donnait par
surcroît un air grave et imposant. En outre, dès qu’il ouvrait la bouche, la
brièveté de ses propos donnait du poids à chacun de ses mots. Toutefois, sa
taciturnité ou à l’occasion la concision de son verbe entraînaient aussi un
grand inconvénient politique, le peuple français étant si raffolé de ces bons
mots, de ces saillies, de cette éloquence, toute de jet et de primesaut où son
père excellait et à qui il devait en grande partie son ascendant, son pouvoir
de persuasion, et une popularité à laquelle Louis, malgré ses mérites,
n’atteignit jamais.
Il ne me paraît pas hasardeux de suggérer que le pitoyable
échec de sa nuit de noces, à quatorze ans, avec Anne d’Autriche, contribua
quelque peu à lui donner l’impression d’une immaturité enfantine, dans un pays
où les verts galants sont plus prisés que les chastes. À tout le moins ce fut
un fort pesant échec qu’il traîna encore plusieurs années derrière soi, pour ne
rien dire ici des angoisses et des humiliations de la petite reine.
Son père, le vert galant, était son héros, son exemple et
son modèle en tout, sauf justement dans le domaine de la galanterie. Bon chien
ne chassait pas de race. On avait pris soin de lui casser sa fougue, en lui
apprenant dès ses maillots et enfances que la chair, c’était le diable. Le père
Cotton le tenait une grosse heure à confesse et lui façonnait une âme lisse, où
les désirs, comme autant de mauvaises herbes, étaient éradiqués. Le père,
Jésuite fougueux emporté par sa foi, ne savait pas qu’il arrachait le bon grain
avec l’ivraie. Bonhomme mais aveugle, il n’eut pas conscience d’émasculer le
roi en même temps que la mère de Louis le réduisait à l’impuissance politique.
Il n’y eut pas complot. Le bon père fut le premier navré du fiasco de la nuit
de noces, et point le dernier non plus à presser son pénitent d’assurer sa
succession. Mais l’affaire paraissait bien compromise. Louis était devenu aussi
chaste qu’un moine. Foin donc de ces maîtresses succulentes grâce auxquelles
son père retrempait jadis sa vigueur. Et quoi qu’en pussent conter nos bons
caquets de cour, fi pareillement des mignons d’Henri III ! Monsieur
de Luynes était très aimé, mais point de cette façon-là.
Louis faisait à sa gracieuse petite reine deux visites
protocolaires par jour, et je l’ai vu souvent blême et mal à l’aise au moment
de pénétrer dans ses appartements, non qu’il détestât la pauvre Anne, si jolie
et si vive et qui avait tant le désir d’être vraiment sa femme, mais il avait
en grande horreur la bonne centaine de dames de cour, dévergognées et
caquetantes, qui s’agitaient là, toutes si femmes, et qui pis est, si
espagnoles : le pire des vices à ses yeux. J’ai souvent pensé combien son
père se serait, au rebours, senti à son affaire au milieu de ce gynécée,
entouré de regards veloutés, de hanches onduleuses et de sourires étincelants.
Mon pauvre Louis, lui, était au supplice.
Le divertissement majeur de sa vie, qui était en même temps
la revanche et la consolation de son orgueil viril, malmené par une abstinence
si disconvenable au premier gentilhomme du royaume, c’était la chasse. À
cheval, cavalier intrépide, à pied, marcheur infatigable, ou le faucon au
poing, il poursuit tout, poil ou plume, hormis la plus belle moitié de
l’humanité. Il a de la chasse une conception austère, héroïque. De prime, la
perfection. C’est un tireur inégalable. À l’arquebuse, il abat un aigle en
plein vol. Mais cela ne suffit pas. Il lui faut tout savoir du gibier, des
moyens de la poursuite, et des règles qu’on y doit observer. Il faut ensuite
qu’il y ait de l’exploit dans la capture et la mise à mort. Chassant dans la
garenne du Peq [2] , au-dessous du château de
Saint-Germain-en-Laye,
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