Les Roses De La Vie
côtés de
mon roi, contre la tyrannie d’un vil aventurier et l’usurpation du trône par
une mère qui, alors même que son fils avait été déclaré majeur, se cramponnait
au sceptre.
— De grâce, dit Madame de Guise en levant en l’air ses
petits bras potelés, laissons de côté toutes ces arguties… Le vin est tiré, il
faut le boire.
À ces mots, mon père et La Surie échangèrent un regard, car
ma marraine était accoutumée à appeler arguties tous les faits, quels
qu’ils fussent, qui contredisaient son opinion.
— Vais-je, de reste, engager le fer sur le passé, alors
qu’il y a tant à dire sur le présent ? reprit Madame de Guise, oubliant
que c’était justement ce qu’elle venait de faire. Je consens, mon filleul, à ne
point vous garder trop mauvaise dent de vos indignes cachottes, mais…
— Mais Madame, dit mon père en posant sa large dextre
sur la petite main de ma bonne marraine – contact qui, après tant
d’années, la fit frémir et rosir –, ne pouvez-vous entendre qu’il n’est
complot que secret ? À moi-même Pierre-Emmanuel ne s’est ouvert de rien.
Et il a eu raison.
— Eh quoi, Marquis ! dit-elle d’un ton vif, mais
sans retirer sa main de dessous la sienne, cela vous eût-il laissé de glace si
notre Pierre-Emmanuel avait épousé la Bastille jusqu’à la fin de ses terrestres
jours ? Ou pis même, pour de plus brèves noces, le billot et l’épée du
bourreau ?
— Madame, vais-je pleurer l’éventuel, quand le réel
nous sourit aux anges ? dit le marquis de Siorac. Pour ma part, je me
réjouis grandement que Pierre-Emmanuel ait fait partie de cette poignée
d’hommes qui, au péril de leur vie, ont exécuté le dessein du roi.
— Mais c’est là justement le point ! s’écria
Madame de Guise, et pourquoi je suis céans ! Car je trouve Pierre-Emmanuel
bien trop modeste, tardif, retiré dans sa coquille, quand la meute de ceux qui
se trouvaient au coude à coude avec lui dans le complot, aboie haut et fort
après places, honneurs, titres et pécunes…
— Et les obtiennent-ils ? dis-je, béant.
— Mais cela va sans dire ! reprit-elle avec un
soupçon de hauteur. Louis est juste et n’oublie pas de récompenser ceux qui
l’ont si bien servi !
Encore deux autres vertus, m’apensai-je, qu’elle reconnaît à
Louis d’un seul coup : l’équité et la gratitude. Que les temps ont
changé !
— Jugez-en ! reprit-elle avec passion. Vitry, de
simple capitaine aux gardes qu’il était, est promu maréchal de France. Son
frère du Hallier prend sa place à la tête du régiment des gardes. Et son
beau-frère, Persan, est nommé gouverneur de la Bastille. Ceci, pour les auteurs
de la pistolétade. Mais Monsieur de Luynes, lui, reçoit la charge de premier
gentilhomme de la Chambre en attendant qu’on lui donne un duché-pairie et qu’il
reçoive l’immense fortune de Concini.
— Celle-là, on eût mieux fait de la rendre au trésor de
la Bastille, puisque c’est de là qu’on l’avait tirée, dit mon père roidement.
— Eh quoi ! Critiquez-vous Louis ? dit Madame
de Guise qui, de minute en minute, devenait plus royaliste. Ce n’est pas tout,
reprit-elle, les deux frères de Luynes seront, eux aussi, fort bien
lotis : on parle pour l’un d’un duché et pour l’autre, d’un maréchalat.
— Dieu du ciel ! s’écria mon père. Un maréchalat à
qui n’a jamais tiré l’épée !
— Je vous le concède, dit Madame de Guise. C’est un peu
fort. Mais notez-le : il n’est pas jusqu’aux deux roturiers du complot qui
ne soient hautement promus. Tronçon sera secrétaire particulier du roi et Déagéant
est fait intendant des Finances, et il entre, en outre, au Conseil des
affaires.
— J’en suis heureux pour lui, dis-je. C’est un homme
d’un grand savoir et d’une infinie sagacité.
— Vous êtes heureux ! Vous êtes heureux !
Mais vous, mon filleul, dit Madame de Guise avec une brusque colère,
croyez-vous que c’est en restant caché comme l’humble violette sous ses propres
feuilles que vous recevrez le salaire de vos peines ? Que diable,
Monsieur, montrez-vous ! N’attendez pas que le temps passe et qu’on vous
oublie ! Demandez ! Demandez ! Vous contenterez-vous d’être
votre vie durant un petit chevalier ?
— Je me contente bien, moi, d’être chevalier de La
Surie, dit La Surie, dont l’œil marron brilla soudain, tandis que l’œil bleu
restait
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