Les sorciers du ciel
infirmier français, Louis Guenegues, aille chercher dans la cachette où elles m’attendaient, confiées à la garde du docteur Helluy, les hosties et la petite fiole de vin que j’avais pu obtenir de l’excellent curé allemand Veter Joseph Henn. Non pas qu’il fût autorisé à entrer dans le camp, mais des Kommandos de travailleurs envoyés dans le village avaient servi d’intermédiaires.
Le soir venu, les feux éteints, à la réserve d’une ampoule (qu’on enveloppait de surcroît d’une vieille chaussette pour la transformer en… veilleuse !) je me glissai doucement vers la table de l’infirmier. Un mouchoir étalé dessus, la croix de mon chapelet, un quart en fer blanc me servant de calice, tout cela ne demandait pas longtemps à disposer et je commençai les prières. À un mètre de moi, le Russe ronflait tranquillement.
Soudain, j’eus l’impression d’une présence derrière moi. Un coup d’œil me fit voir dans cette pénombre sépulcrale, plusieurs silhouettes, étrangement drapées, fantomatiques !… C’étaient mes « paroissiens » qui, au lieu de suivre de leur place, s’étaient enveloppés d’une couverture (tous les vêtements avaient été supprimés aux malades) et, étaient venus se grouper derrière moi. Tant pis ! Il était trop tard pour faire quoi que ce soit. Je continuai la célébration.
Mais tout à coup, voilà mon Russe qui se réveille en sursaut. En un éclair je vis ce qui allait suivre. Effrayé de ce groupe de spectres rassemblés si près de son lit, il allait crier, bondir sur le commutateur, faire la lumière, appeler…
Au contraire, il ne dit rien, se redressa sur son coude et là, à moins d’un mètre, il regarda attentivement, dans cette obscurité presque totale, ce que j’étais en train de faire. De rien n’aurait servi de m’interrompre ; je continuai donc la messe. Il vit les signes de croix et, l’instant venu, les communions de mes camarades. Le silence était à peine troublé par nos mouvements précautionneux et lents. Voilà, tout était fini, maintenant quelles allaient être les conséquences ?
Je reprenais mon mouchoir, mon quart, mon chapelet quand le Russe se rapprocha encore un petit peu, me tendit la main et serra la mienne (70) !…
*
La plupart des Kommandos du Neckar étaient privés de prêtres et pourtant plusieurs déportés réussirent à communier une fois :
— L’origine (71) de cette communion clandestine tient dans la rencontre fortuite du groupe de déportés auquel j’appartenais, et d’un groupe de prisonniers de guerre qui travaillaient non loin de notre chantier. Un aumônier demeurait dans le camp où séjournaient les prisonniers de guerre. J’ai réussi à décrire rapidement et sommairement l’état physique et moral dans lequel se trouvaient mes camarades et moi-même. J’ai pu recevoir, en retour, dans une petite boîte, quelques hosties consacrées par cet aumônier. Ensuite, il ne me fut pas facile, mais cela n’a rien d’héroïque, de remettre à ceux qui le souhaitaient des parcelles d’hosties. J’ai pu proposer, au hasard des travaux du chantier, à tel ou tel camarade qui semblait particulièrement démoralisé, de recevoir ce message consacré.
— Il ne m’est vraiment pas possible de me souvenir des péripéties, de ce qui n’est qu’une péripétie parmi tant et tant de circonstances infiniment plus dramatiques, mais ce dont je me souviens parfaitement bien, c’est de l’accueil généralement profondément religieux, dans son esprit même, que reçut cette proposition.
— Je ne suis pas certain d’avoir eu à faire à des croyants pratiquants ; je n’ose même pas assurer que tous les camarades qui reçurent cette communion étaient baptisés. Mais ce qui restera inexprimable, c’est que ces fractions d’hosties consacrées dont je me suis fait le porteur, sans doute sacrilège mais inconscient, fut l’occasion, pour chacun de ceux qui en reçurent leur part, d’une véritable, sincère et totale communion.
CHAPITRE VI
TRIANGLE VIOLET
Dans les différents camps de concentration, les détenus qui portaient un triangle violet cousu sur la poitrine ou sur la cuisse étaient tous d’origine allemande. Membres de différentes « sectes religieuses » – Témoins de Jehovah, Sectateurs de la Bible, Fondamentalistes, Stricts Serviteurs de la Bible – ils avaient refusé de faire leur service militaire et de prêter serment.
Ces
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