Les sorciers du ciel
« communautés », nées pour la plupart aux États-Unis à la fin du XIX e siècle, avaient envoyé des « missionnaires » dans tous les pays d’Europe. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, seule l’Allemagne était réellement touchée par ce « nouveau message ». Le national-socialisme, à la recherche des « sorciers en tous genres » fit arrêter les dirigeants (1934) et les enferma à Magdebourg. Pour faciliter la constitution des dossiers, les membres des différentes sectes furent groupés sous le titre : « Fondamentalistes ».
— La (72) grande vague d’arrestations commença en 1936. À la suite d’une ordonnance publiée en 1937 par le ministre de l’intérieur, tous les Fondamentalistes furent remis à la Gestapo qui les plaça dans les camps. Jusqu’à l’automne 1937, leur nombre s’éleva par exemple à Buchenwald, à deux cent soixante-dix environ ; le maximum y fut de quatre cent cinquante en automne 1938. Il y en avait un nombre à peu près équivalent dans tous les camps de quelque importance. Les femmes étaient envoyées à Ravensbrück. Les fondamentalistes eurent la vie très dure à certaines époques. Mais aidés par leur foi patiente en la fin prochaine du monde, ils ne cessèrent d’être des travailleurs dévoués et volontaires, aussi bien pour la S.S. que pour leurs camarades de captivité.
*
Franke, un ingénieur, avait toujours refusé de saluer « à l’hitlérienne » :
Et (73) parce que Dieu lui avait défendu d’adorer Hitler, aucune puissance terrestre ne pouvait l’y contraindre. Car les Stricts Serviteurs de la Bible sont des fanatiques, fidèles à leur foi. Ils disaient à qui voulait les entendre : « Hitler a bâti son royaume sur le sang. » Et comme ils font partie des quarante mille âmes qui, après le nouveau déluge entreront au paradis terrestre, ils supportent d’un cœur léger les souffrances et les privations, et la pauvreté de leur existence actuelle.
Cela le conduisit à Lichtenburg. Il ne parlait pas beaucoup et regardait tout le monde avec des yeux affectueux. Il avait des cheveux blonds, clairsemés et légèrement ondulés, couronnant un front lisse, de grands yeux bleus, des joues roses, une bouche féminine et un menton rond, un peu trop petit. Il pouvait avoir quarante ans. Il balayait infatigablement la cellule et le couloir, allait chercher de l’eau et se rendait utile à tous.
Mais il ne levait pas le bras pour saluer. Il ne disait pas Heil Hitler !
La première fois que la sentinelle remarqua la chose, elle lui cria :
— Pourquoi n’as-tu pas salué ?
— Parce que Dieu me l’a défendu.
L’autre n’en croyait pas ses oreilles. Il regarda d’un air stupide :
— Est-ce que tu te moques de moi ?
— Non !
— Dans quel dortoir couches-tu ?
— Au dortoir n° 3.
Le soir on vint le chercher. Cachot. Une semaine ! Après nous le vîmes revenir avec des yeux pochés et noirs.
— Sois raisonnable ! lui dirent les camarades. Quelle importance cela a, un : Heil Hitler ! Fais comme nous ! Nous le disons bien aussi.
Il secoua la tête. Le lendemain, il se fit de nouveau attraper. Il retourna au cachot deux semaines !
Quand il revint, il était méconnaissable.
Mais il ne levait pas le bras pour saluer.
Le gros Zimmermann entreprit de l’obliger à saluer. Accompagné de cinq S.S., il le conduisit dans la petite cour.
— Lève le bras ! Lève le bras ! Lève le bras !
Le commandant assistait à la scène.
Ils le rouent de coups. Il glisse sur l’eau gelée en flaques et tombe.
— Lève le bras ! Heil Hitler ! Heil Hitler ! Alors, ça y est ?
Ils le frappent jusqu’à ce qu’il perde connaissance. Son sang gèle sur le sol.
Nous l’adjurons. Rien n’y fait. Son visage se durcit, prend un air d’obstination enfantine. Il ne veut pas saluer. Nous sommes désespérés.
On le sépare de nous et on le met dans une cellule avec les « criminels invétérés ». Il porte leur uniforme. Tous les jours, il doit faire la vidange des fosses d’aisance au pas de gymnastique. Ses mains saignent à force de porter des seaux. Et quand ce n’est pas cela, c’est le cachot ou les coups.
Quand nous le rencontrons, nous lui faisons de petits saluts et nous levons le bras pour l’inciter à faire de même.
Les S.S. tiennent des paris sur lui.
— Saluera !
— Saluera pas !
Après plusieurs
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