Les sorciers du ciel
hitlériennes viennent prendre les déportés sur la place d’appel.
— En route pour le fossé.
À mi-chemin :
— Un peu de gymnastique ! Allongez-vous !
Les hommes s’aplatissent au sol.
Les jeunes S.S. braquent leur mitraillette et ouvrent le feu.
— Debout !
Cinq corps restent sur le terrain.
— En route !
— Un Polonais traîne la jambe. Il arrive à parcourir deux cents mètres et s’effondre au moment où le S.S. crie :
— Allongez-vous !
Les mitraillettes crépitent. Le Polonais et deux autres déportés ont été tués.
Cinq fois la scène se renouvelle.
Le soir, sur le chemin du retour, l’officier S.S. ordonne à la colonne de stopper aux cinq endroits des massacres.
— Vous allez chanter.
— Chantez !
— Plus fort.
Ils chantent.
L’abbé Gabriel Gay passe une partie de la nuit à réconforter ses amis désespérés. À plusieurs il confie :
— Si ma pauvre vie est nécessaire pour faire cesser ces tueries, je l’offre bien volontiers.
Le lendemain les S.S. se contentent de quatre « arrêts gymnastique » et de quinze morts.
Dans le fossé, Louis Ducol est à la pioche. Depuis plus d’une heure il surveille, à un mètre de lui, un pissenlit qui semble le narguer. Ducol pose la pioche et bondit… le S.S. sourit, épaule, abat l’homme d’une rafale. Un officier accourt et autorise le « Pastor » à approcher le mourant. L’abbé lui donne conditionnellement l’absolution.
Toujours souriant, le meurtrier de Ducol hausse les épaules. Un déporté allemand l’entend confier à un autre S.S. :
— Demain ce sera le tour du curaillon.
Le soir, dans les blocks, les déportés français se réunissent.
— Demain, ils vont tuer l’abbé.
— J’ai vu le tueur le désigner aux autres S.S.
— Et l’abbé a ses semelles décousues. Il va traîner et ils vont le descendre tout de suite.
— Je vais lui trouver une meilleure paire de chaussures, c’est bien notre tour de l’aider.
— Il faudra lui dire d’enlever son pansement du cou. Ils le repéreront moins facilement.
— Et ses lunettes ?
— Sans ses lunettes il est incapable de faire un pas.
L’abbé encourage et absout ses camarades. L’interprète l’interrompt pour lui offrir une paire de souliers.
— J’ai vu que vous boitiez !
L’abbé confie ses dernières intentions au jeune séminariste.
— Il reçoit (84) encore une fois ma confession et c’est à ce moment que nous nous faisons mutuellement nos adieux. Il me charge de saluer sa famille, ses paroissiens de Nantua, son évêque : « Tu leur diras que j’ai toujours pensé à eux. » Il m’encourage beaucoup devant l’angoisse de la mort qui m’étreignait : « Ce soir, me dit-il, ressemble un peu au soir du Jeudi-Saint. C’est le moment de dire : Père, que ce calice s’éloigne de moi… Cependant que votre volonté soit faite. »
*
Les Kapos allemands ont intrigué toute la nuit pour protéger leurs nationaux. Au matin du 11 avril, sur la place d’appel, les détenus allemands regardent les autres déportés partir vers le fossé. Trois colonnes : la dernière composée uniquement de Français. Entre les trois, cent mètres. La plupart des Français prient.
— Vont-ils tirer ? Non ! pas tout de suite, nous venons de franchir le passage de la première fusillade. Maintenant ? Rien ! Que se passe-t-il ? La deuxième colonne est sur le lieu du deuxième massacre, la première à l’endroit du troisième. Encore trois cents mètres. Rien ! Vingt pas. Rien ! Alors ce sera pour demain ou, ce soir en rentrant. Nous sommes sauvés pour aujourd’hui. Ils ne vont tout de même pas tirer dans la côte de la carrière…
— Couchez-vous !
La fusillade n’en finit plus.
— Debout !
Vingt et un cadavres. Tous les autres sont blessés et se relèvent péniblement.
— Il (85) est environ 7 heures du matin. Je suis moi-même blessé de quatre balles, dont l’une m’a traversé le pied. Je me trouve côte à côte avec l’abbé. Il a perdu ses lunettes. Sa mauvaise vue l’oblige à marcher les yeux fixés au sol. Une balle lui a traversé un bras et il perd du sang en abondance. C’est alors qu’il me dit : « Mon vieux, je crois bien que cette fois-ci je ne reverrai pas la France. »
L’abbé et sept déportés se couchent sur l’herbe, à côté du fossé antichar. Les autres blessés se mêlent aux
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