Les sorciers du ciel
fallait un bon quart d’heure… Si l’on s’était occupé de moi, tout au long de ma jeunesse, on se serait aperçu que j’avais la vocation… En quittant l’armée, j’entre au séminaire et, au mois de septembre 1940, célèbre ma quatrième messe sur le front… Prisonnier. Je deviens « l’homme de peine, l’homme à tout faire » de la Grande Chartreuse de Düsseldorf… J’ai dû me battre pour pouvoir dire tous les matins ma messe… J’ai calculé qu’en un an, mes « confrères » m’ont fait transporter dans leurs jardins quatre-vingts tonnes de vidange.
De ses dix-huit mois de captivité l’aumônier ramène une lésion de la colonne vertébrale. Il s’installe en Touraine, à la Chapelle Blanche Saint-Martin… et devient le relais principal d’un groupe de passeurs clandestins. Arrêté le 10 septembre 1942, il est le premier prêtre français enfermé dans les barbelés de Royallieu à Compiègne (88) .
— Merde ! lui dit le portier, voilà qu’on arrête les curés maintenant !
L’abbé Rodhain, aumônier général des prisonniers de guerre français, qui vient d’apprendre cet internement, fait déposer aussitôt deux valises-chapelle au poste de garde de Royallieu. Elles sont remises sans aucune difficulté au prêtre prisonnier :
— Je suis (89) allé trouver le commandant du camp. Il m’a attribué une pièce dans une chambre – trois mètres sur quatre – pour que je puisse installer une chapelle. Un gardien catholique m’a fabriqué un autel de bois et a façonné avec du plâtre une petite statue de la Vierge : Notre-Dame de la Paix. Mon « église » était toujours pleine…
Le soir de Noël 1942, les cuisiniers, tous communistes, invitent les prêtres « au réveillon ».
— Nous ne pouvons rien prendre avec vous… car nous allons dire la messe et communier. Nous vous souhaitons bon Noël.
La table de la cuisine est somptueusement décorée. Quatre tibias de vache servent de bougeoirs.
— Dites donc les curés, quand vous aurez terminé, passez donc prendre un verre.
— D’accord ! À tout à l’heure et encore bravo pour les chandeliers.
À 10 heures, l’aumônier célèbre la « Messe de Minuit » . Les prêtres se retirent ensuite dans leur chambre. Dans la pièce voisine les « cuistots » poursuivent leur fête. Rires, cris, chants. Les prêtres prient.
Un sous-officier allemand ouvre brusquement la porte des prêtres :
— Vous avez fini de hurler !
— Mais…
— Silence !
Le lendemain matin, l’aumônier D. est convoqué par le commandant :
— C’est un scandale ! Ce bruit ! Vous serez punis… Vous vous coucherez tous les soirs à 9 heures au lieu de 10. C’est tout !
Le responsable des cuisines retrouve l’aumônier à la porte de la chapelle.
— Voilà ! Il faut que je t’en serre cinq ! Mais avant, prends ce paquet de cigares et de cigarettes…
— Mais pourquoi ?
— Tu as reçu l’engueulade alors que nous étions les seuls responsables… On a fait la quête…
Le prêtre accepte les cadeaux. Le cuisinier pénètre dans la chapelle :
— C’est ça ton église ?
— Tu vois !
— T’as le Bon Dieu là ?
— Il est là !
— Il est tout seul le Bon Dieu, t’as rien autour. Ça me ferait plaisir de t’offrir les chandeliers et les fleurs de notre table de Noël.
Le soir même, le premier aumônier du camp de Compiègne décorait l’autel de la chapelle de quatre magnifiques tibias de vache…
*
Sur le quai ferroviaire d’Oranienburg, l’officier S.S. surveille le débarquement des arrivants. L’aumônier D., calot frappé d’une croix de métal, soutane souillée, s’est placé au premier rang de la colonne. Le S.S. se campe devant lui, l’examine des pieds à la tête.
— Chien du Ciel ! Tu as la croix sur ton calot… Ici tu la porteras tous les jours sur le dos. Fais attention ! Dieu n’existe pas. Si tu fais un seul signe de croix, tu es un homme mort.
Les six prêtres français, leur quarantaine terminée, s’installeront au block 15, dans la pièce occupée par les deux pères hollandais « oubliés » à Oranienburg, au moment du départ des ecclésiastiques pour Dachau. Le matin de Pâques, les pères hollandais réserveront une surprise aux Français.
— Monsieur l’aumônier, êtes-vous capable de garder un secret, un grand secret ?
— Je garde bien le secret de la
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