Les sorciers du ciel
! Plus vite Pastor !
L’abbé vide sa charge et revient se planter devant le gamin S.S. :
— Vous croyez que c’est amusant ; ce que vous laissez faire est indigne d’un soldat. Le S.S. baisse les yeux. Il reprend la baïonnette au gorille.
— Mais ce n’était qu’une plaisanterie !
— Si cela se reproduit, j’irai me plaindre au commandant.
Le gorille s’interpose entre le S.S. et l’abbé.
— Allons, c’est oublié, serrons-nous la main.
L’abbé regarde la main tendue et la refuse :
— Mes mains sont propres, les tiennes ne le sont pas.
Un autre jour :
— Alors (78) qu’il travaille dans un petit kommando, sous la surveillance d’une seule sentinelle et sous les ordres d’un Kapo allemand dont l’immoralité était bien connue, l’abbé Gay est mis en demeure, par ce dernier, de se prêter à une étrange exhibition. Il refuse énergiquement et renouvelle son refus à chaque tentative du sinistre individu, malgré les coups dont il est accablé. Le travail se poursuit sur le chantier, mais au cours de cette même journée l’abbé est rossé à plusieurs reprises, sans autre raison que son refus du matin. Comme je lui exprime le soir mon indignation pour ce qui s’est passé, il me fait cette réponse : « Que veux-tu, il faut les excuser, ces Allemands… Ce ne sont que des brutes ; ils ne sont pas responsables. »
Et jour après jour, l’abbé devient, pour tous les déportés de Hradischko : « le meilleur d’entre nous ».
— Je l’ai vu (79) prendre les brouettes les plus lourdes, travailler avec les outils les moins pratiques. Bien qu’il ne fût pas habitué aux travaux manuels, il était toujours volontaire pour n’importe quelle corvée. Lorsque la colonne rentrait au camp, lui-même au milieu de ses camarades épuisés, révoltés par les brimades et criant de faim, il savait oublier sa propre fatigue, ses pieds en sang, pour secourir un défaillant, pour offrir son bras à l’un, pour soutenir l’autre, pour relayer, même quand ce n’était pas son tour, les camarades chargés de rapporter les bouteillons de la soupe de midi ou les lourdes bûches…
— Je le revois encore, ombre amie trottinant après le travail harassant, parmi les chambres des deux blocks, toujours à l’affût d’une misère à secourir ou d’une consolation à apporter. Il nous parlait de choses douces, à nous qui ne connaissions plus la douceur depuis notre arrestation.
Et si l’abbé prie et organise de nombreuses causeries religieuses « entre amis », il aime toujours bavarder longuement avec ceux « qui ne savent pas ».
— Militant (80) socialiste et syndicaliste, j’ai été surpris de trouver chez lui une connaissance et une compréhension si parfaites des aspirations ouvrières.
— Instituteur laïc limogé par Vichy, je ne partageais pas toujours les points de vue de mon ami ; mais nos discussions étaient cordiales, fertiles en aperçus qui nous surprenaient l’un et l’autre. Il m’avait fait part de ses projets d’avenir. À son retour il se verrait sans doute confier une cure de campagne. Il voyait déjà en pensée sa petite église de village et faisait des plans pour son aménagement et sa décoration. Je lui donnais des leçons d’aviculture et d’apiculture, car il voulait créer un petit élevage dont le produit serait consacré à ses œuvres paroissiales. Je me souviens de lui avoir dit un jour : « Mon vieux, n’ambitionne pas les honneurs, ne considère pas ce poste qu’on te donnera comme un échelon pour atteindre aux postes supérieurs ; tu passerais sans laisser de trace. Si tu veux faire œuvre utile, il faut consacrer ta vie à cette population qui te sera confiée. Il faut que tu formes une génération et que, plus tard, il t’arrive encore d’enseigner aux enfants de tes premiers catéchisés… Ce n’est qu’ainsi que tu pourras laisser ton empreinte : cela est vrai pour le prêtre comme pour l’instituteur. »
*
— Veux-tu communier ?
— Monsieur l’abbé, comment est-ce possible ? Comment avez-vous réussi ?
— Veux-tu communier ? Le premier du camp !
Les deux hommes se dirigent vers le fond du block et se hissent sur la paillasse du troisième étage.
— Je vais t’entendre en confession.
L’abbé est ému, ses lèvres tremblent :
— Regarde comment et à quel point Dieu est bon. Il sort de sa veste un papier soigneusement
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