Les sorciers du ciel
chapelet pour demander le secours qui nous est maintenant si nécessaire.
Et tous, sans exception, croyants et incroyants, retrouvant au fond de notre mémoire les mots qui bercèrent notre enfance, nous joignons nos voix à celle de l’abbé. Nous sentons à quel point l’heure que nous vivons est grave, dangereuse.
— Et maintenant à la besogne !
Suivant les instructions reçues, nous nous attaquons d’abord au plancher. Malédiction ! Des barres de fer se croisent sous le bois… Il ne reste plus que la porte.
À ce moment, un camarade de wagon, ingénieur d’une grande firme française de construction électromécanique, s’interpose :
— Si vous tentez de vous évader, je donne l’alarme aux Allemands. Je ne tiens pas à subir des représailles à cause de vous.
Aussitôt Biaggi et moi, cernons le froussard :
— Mon vieux, si tu essaies de la ramener, on t’étrangle.
— Mais…
— Pas de mais ! Au moindre mouvement de ta part, on te descend. Compris ?
Nous devons avoir l’air féroce. De fait, nous sommes bien décidés à cette exécution si elle s’avère nécessaire. L’autre n’insiste plus. Pendant ce temps, Martin attaque la cloison. Nous avons pris la précaution de tracer des points de repère à hauteur du système de fermeture.
Je regarde l’abbé Le Meur qui prie avec intensité dans le noir. Sa figure pâle, ascétique se détache. Je ne puis m’empêcher d’admirer cet homme dont la foi ardente est génératrice de confiance. Je sens qu’il veut à tout prix mettre le Ciel de notre côté.
Martin laisse échapper sa scie…
— Nom de Dieu !
— Cherchez ?
— La voici.
Nous poussons un soupir de soulagement.
Les autres occupants, ignorants ou insouciants du drame qui se joue, sont plongés dans le sommeil. Cela vaut bien mieux. Ils ne nous gênent pas. Mieux, ils seront tout à l’heure en bien meilleure forme pour accomplir leur saut dans l’inconnu.
— Enfin !
La planche a été enlevée. Tout va bien…
— Attention !
Le train s’arrête brusquement.
— Que se passe-t-il ?
— Regardez !
Nous replaçons vivement la planche contre laquelle nous nous appuyons.
— Des pas… Écoutez !
Vont-ils découvrir la brèche que nous venons de pratiquer ?
— Les pas s’éloignent !
— Ils n’ont rien vu. Le train repart. Attendons qu’il ait atteint une vitesse suffisante.
De la grille, je fais signe à Martin que nous sommes sortis de la ville. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, notre camarade arrache le fil de fer de la porte, tandis que l’abbé Le Meur manœuvre le loquet. La porte glisse sur son rail. Vide béant sur la nuit noire.
L’abbé murmure :
— Allez les amis, l’instant est venu…
L’ordre de saut a été réglé dans ses moindres détails. Martin bondit le premier mais, il est parti tête en avant ; il se blesse au visage…
— Sur le marchepied ! Allongez-vous.
Chacun, à son tour, descend sur le marchepied, s’y couche, les pieds dirigés vers la locomotive, puis se laisse glisser sur le côté.
D’autres roulent.
C’est à moi. J’aperçois le projecteur placé à l’avant du train qui s’allume… Nous sommes dans une courbe.
— Vite remonte !
Nous refermons la porte. Le phare s’éteint. Je saute.
Le contact avec le sol est plutôt brutal. Dans un roulement de tonnerre, le train poursuit sa marche. Il s’éloigne. Disparaît. Le silence.
Je me tâte. Non… rien de cassé. La jambe droite un peu endolorie, une main égratignée. Immobile, j’attends encore… Je dresse la tête ! Rien. Je puis me lever. Le temps que j’ai perdu à attendre l’extinction du phare a été mis à profit par ceux qui m’ont devancé. Ils sont cinq qui se sont retrouvés et se dirigent vers le village le plus proche.
Nous avions décidé que les évadés se rendraient après le saut, de préférence, dans les presbytères. Nous étions certains de pouvoir compter sur une aide efficace, que le curé soit résistant ou non. L’idée s’est révélée excellente et c’est sans doute grâce au concours des prêtres de la région que notre tentative a connu un succès si total.
L’abbé Le Meur sauta le quarante-sixième (152) .
Trois blessés graves furent cachés par des prêtres.
Dhuy retrouva un réseau à Paris. D’autres des maquis.
Un seul des quarante-six évadés fut repris.
CHAPITRE XV
HINZERT
Hinzert,
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