Les sorciers du ciel
ouvert pour héberger les constructeurs de la célèbre « ligne Siegfried » devint très rapidement un centre de redressement réservé aux S.S. « fautifs » et aux Luxembourgeois « anti-nazis ». Ce n’est que le 20 février 1942 qu’il se transforma en sonderlager « ordinaire » et accueillit les premiers Français N.N. (Nuit et Brouillard) qui auraient à répondre de leurs crimes devant le tribunal spécial de Cologne ou les tribunaux du Peuple de Berlin, Sarrebruck et Trêves.
L’abbé de la Martinière (153) arrive le 12 juillet 1942.
— Nous pénétrons (154) dans la cour. Nous apercevons des hommes en haillons, d’une maigreur absolument extraordinaire. Nous n’avions jamais vu d’hommes aussi décharnés. Entourés de gardes qui criaient et qui les frappaient, ils poussaient une voiture remplie de pierres. Dès ce moment, une angoisse mortelle s’était emparée de nous.
Le lieutenant Heinrich, surnommé « Napoléon » récite le discours traditionnel d’accueil, puis fait sortir des rangs un détenu allemand.
— Il étaitmonté dans notre train à Trêves. On lui donna devant nous une magistrale volée, on lui mit dans les mains une très lourde barre de fer et il fut obligé de faire des mouvements d’élévation. Sporrenberg, le « Kommandor », lança alors son chien sur l’allemand. Le chien se jeta sur l’homme, le mordit à la face. L’officier siffla pour le rappeler puis le relança de nouveau. L’Allemand restait impassible. Il saignait. Il gardait une espèce de sourire ; je vois très bien sa tête. Nous étions anéantis. On nous dit que c’était ce qui nous attendait si nous n’étions pas décidés à faire ce que l’on nous demanderait. À ce moment je me suis dit : « Nous venons ici pour y mourir. » Je me suis tourné vers mes camarades en pensant : « Combien pourront sortir vivants de ce camp ? » Tous étaient figés sur place.
*
Parfois Brendel, rose, gras, toupet blond sur le front remplace Heinrich. Il fait déshabiller et défiler nus devant lui les déportés. Son œil éteint les ausculte longuement.
Le dernier (155) à passer était un moine bénédictin de la célèbre abbaye de Ligugé, dont il était le bibliothécaire. Il s’appelait le père Lambert. C’était un homme déjà âgé, encore gras, au regard intelligent et vif derrière ses lunettes drôlement placées au haut de son nez. Il avait dans sa nudité un air de dignité qui m’avait frappé immédiatement.
J’accompagnai moi-même le père Lambert devant notre maître. Celui-ci avait la nonchalance d’un homme d’importance qui arrive à la fin d’une lourde tâche. Il jouait avec sa baguette, souriait d’un air entendu, ce qui décuplait l’expression finaude et bête de son visage et qui accentuait d’une façon frappante la ressemblance de son regard avec celui d’un jeune porc.
Très simplement, le père Lambert, nu, se plaça devant lui en esquissant un vague garde-à-vous.
D’habitude Brendel était plus exigeant quant à la position respectueuse du prisonnier debout devant lui. Il faut dire que l’attitude du père Lambert était extrêmement correcte, que le sourire qu’il y avait en ce moment dans ses yeux était de ceux dont un S.S. ne pouvait déceler la présence, ni comprendre le sens.
Le Kapo annonça à Brendel que le prisonnier qu’il allait examiner était un bénédictin. Malgré qu’il fût d’origine catholique, Brendel affecta, en bon S.S. qu’il était, d’ignorer ce que c’était et s’en fit donner une explication.
Je demandai, pendant ce colloque, au père Lambert, s’il connaissait l’allemand. Il me répondit à voix basse : « Suffisamment car je le pratiquais pour mes travaux. »
Brendel renversant sa tête en arrière, et prenant un air entendu, un air qui voulait être supérieur et ironique, dit au père Lambert :
— Et alors mon vieux ! Il paraît que tu es moine ?
— En effet, je le suis.
— Il paraît que tu es bénédictin ?
— Je suis bénédictin.
— Qu’est-ce que tu faisais dans ton couvent ?
— Ce que font les moines dans leur couvent d’habitude, c’est-à-dire la prière, la méditation et l’étude.
— Mais tu ne racontes pas toutes ces histoires de moines et de moinillons que vous cachez si bien et que nous savons tous.
— On croit tout savoir quand on écoute les mensonges de la propagande.
Brendel un peu étonné et réellement
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