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Les sorciers du ciel

Les sorciers du ciel

Titel: Les sorciers du ciel Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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désemparé par l’attitude du père Lambert qui ne s’était pas départi une seule seconde de son à peine perceptible sourire, qui avait d’ailleurs abandonné son garde-à-vous pour avoir le geste machinal et bien ecclésiastique de se frotter les mains en parlant, Brendel, dis-je, changea de terrain, prit un air doctoral et dit   :
    — Et alors, parle-moi des travaux que tu faisais dans ton couvent.
    Naturellement, le père Lambert répondit d’une façon évasive et « notre maître » lui posa une série de questions que je ne me rappelle pas très bien, mais toutes puériles et toutes énoncées avec un ton de condescendance qui, à lui seul, était toute une comédie. Il accompagnait ses demandes et ses réflexions de froncements de sourcils, de regards dubitatifs ou réfléchis derrière lesquels on sentait l’inanité la plus S.S. que l’on pouvait imaginer.
    Et pendant toute la durée de cet entretien, Brendel n’avait pas cessé de tapoter de sa baguette la poitrine et le ventre du bon Père. Et aussi durant tout cet entretien, on sentait peu à peu que la brute ne savait que dire pendant que s’accentuait le sourire du moine.
    Je n’oublierai jamais ce sourire où l’intelligence, une légère ironie, oh très légère, et en même temps la bonté s’alliaient avec le pardon.
    Battu, Brendel renvoya le père Lambert rejoindre ses camarades avec qui, tout nu, dans la nuit tombée, il devait traverser la cour pour aller subir la douche dans une pièce glacée.
    Je n’ai jamais eu autant la certitude de la primauté du spirituel que durant cette scène (156) .
    *
    — Au milieu (157) de la cour, une fosse carrée de huit mètres de côté et profonde d’au moins quatre mètres. Elle contenait rarement plus de deux mètres d’eau. Cette fosse avait été creusée au mois de juin 1942 par les premiers Français arrivés au camp. La plupart étaient âgés de seize ou dix-sept ans. Ils travaillaient toute la journée, le torse nu sous le soleil qui les brûlait au point que leur dos n’était qu’une cloque. Ces jeunes devaient transporter, à deux, la boue et la terre, dans des caisses munies de brancards. Les caisses vides pesaient vingt-cinq kilos   ; pleines, quatre-vingts ou cent kilos. Comme leurs doigts n’avaient plus la force de serrer ou de soulever, les Kapos attachaient les poignets des déportés aux brancards avec des chiffons ou des cordelettes…
    Dans le Kommando de la carrière, le Kapo « Louis » s’acharne sur d’autres jeunes. Pour échapper à sa matraque, une seule solution   : offrir au « Seigneur » une ration de pain ou de margarine. Le Kapo échange le soir le produit de son racket contre des cigarettes. L’abbé de la Martinière, un soir, réunit les jeunes dans un coin de block. Plusieurs, qui n’ont pas « acheté » leur tranquillité portent sur leur corps les marques sanglantes du Kapo « Louis ».
    — Si l’on vous interroge, direz-vous la vérité   ?
    — Pourquoi   ? Qui va nous interroger   ?
    — Répondez   ! Direz-vous la vérité   ?
    Ils hésitent, se concertent.
    — D’accord, monsieur l’abbé. Dites-nous pourquoi maintenant   ?
    — Je vais aller trouver, demain, le commandant et lui parler de « Louis »…
    — Mais vous êtes fou   ! Vous allez vous faire tuer. N’y allez pas   !
    Le lendemain matin, l’abbé de la Martinière pénètre dans le bureau du commandant en second. Les S.S. présents, ahuris, attendent le geste du commandant Martin pour sauter sur le déporté « qui a osé ».
    — Laissez   ! Qu’il s’explique   !
    Il s’explique.
    — Très bien, dit Martin. Si tu as dit vrai, le Kapo sera puni, sinon ce sera toi… Tu as les matricules de ceux dont tu parles   ?
    Les S.S. vont chercher les jeunes déportés.
    Le soir même « Louis » était cassé et expédié dans un Kommando de travail.
    *
    L’abbé Schmitt et le père Émile sont convoqués par le S.S. Kertel   :
    — Vous avez reçu des colis, allez les chercher.
    Les deux prêtres suivant le rituel immuable d’Hinzert sont accueillis dans l’antichambre du cabinet S.S. par des coups et des injures. Émile pénètre le premier dans le bureau. L’abbé Schmitt est au garde-à-vous devant la porte entrouverte. De l’autre côté Kertel corne, tempête, braille… et soudain murmure, ronronne. Schmitt glisse un œil. La brute superbe se penche   :
    — Crois-tu encore en un Dieu   ?
    — Mais oui  

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