Les sorciers du ciel
semblable question, même au plus fort de mon activité pastorale actuelle, du moins sous cette forme aussi directe et spontanée.
— Comment ne pas percevoir l’action de l’Esprit-Saint dans ces moments privilégiés où la faim de Dieu, ainsi exprimée, devient le signe indubitable de sa présence agissante.
— Mais le fait le plus révélateur de cette proximité divine, dans ma vie de bagnard, pourrait bien être l’absence de tout sentiment de haine et d’esprit de revanche. Non pas que je fus insensible aux soubresauts de mon tempérament révolté, mais vite maîtrisé, non pas que je ne fusse découragé l’une ou l’autre fois par la longue attente de l’issue de la guerre, mais le calme dans lequel je baignais intérieurement, malgré les coups de schlague reçus d’un S.S. et d’un de mes compatriotes de Mulhouse, ne pouvait être qu’un don gratuit de Celui qui, sur la Croix, avait dit à propos de ses bourreaux : « – Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font ! »
CHAPITRE XIV
LA « GRANDE ÉVASION » DE L’ABBÉ LE MEUR
Printemps 1944. Compiègne.
— Ça va Gervais ? Tout est prêt ?
— Tout est prêt.
— À tout de suite ! Je vais voir Martin !
Et l’abbé Le Meur, chapelet en main, missel sous le bras, se dirige vers un autre groupe. On peut le voir ainsi, dès le lever du jour, parcourir des kilomètres dans le grand camp de triage. Il est certainement le prisonnier le plus occupé de Royallieu. L’abbé Le Meur prépare l’évasion de cinquante détenus.
Déjà, dans le train qui le conduisait de Paris à Compiègne, il avait voulu sauter par la portière. Clément Vanhoutte (150) le découragea :
— Ici, en plein jour… dans de telles conditions. Vous n’avez aucune chance !
— Eh bien nous nous préparerons à Compiègne ! Ses compagnons de compartiment constituèrent l’état-major de la « grande évasion ».
*
Les (151) trois semaines passées à Royallieu nous avaient permis de rechercher du matériel de fortune qui pourrait servir à une évasion, car nous étions fermement décidés à risquer le tout pour le tout.
Martin, le garagiste parisien avait démonté un couteau et en avait aiguisé la lame avec soin. Cela donnait ma foi, un excellent ciseau à bois. Avec une lime que j’avais été assez heureux de découvrir, il avait confectionné quelques petites scies. De son côté, Biaggi avait obtenu de la Croix-Rouge du camp un fragment de scie à métaux.
Rassembler ce matériel, c’était bien… encore fallait-il le dérober à la fouille qui précéderait, la veille du départ pour l’Allemagne, notre transfert au bâtiment D. La répartition faite, chacun s’ingénia à dissimuler comme il pouvait la pièce qui lui était confiée… dans une boule de pain, sous la ceinture abdominale et pourquoi pas, entre les cuisses. Quant à moi, je me suis contenté d’entourer ma jambe d’un faux pansement sous lequel je glissais un couteau suisse.
— Nous sommes parés.
La fouille se passe sans incident.
Il y a encore un risque à courir. Dans la répartition des hommes par wagon, notre groupe de futurs évadés peut très bien être scindé en deux. Dieu merci, cet avatar nous est épargné et nous nous retrouvons au complet dans le même wagon.
Avant d’en cadenasser la porte, un S.S. nous prévient charitablement qu’une tentative d’évasion n’a aucune chance de réussir. Nous retenons avec peine un sourire narquois, d’autant plus que nous savons de bonne source qu’au cours du précédent transport, il y a eu « cinq incidents de route ». Délicat euphémisme pour cacher cinq évasions. Mais la nôtre, si elle réussit, promet d’être vraiment sensationnelle.
Grâce à certaines circonstances favorables – entre autres un bombardement par l’aviation alliée – notre train effectue détours sur détours, manœuvres sur manœuvres, si bien qu’à la nuit tombante il se trouve encore à Lagny. Ce retard sert merveilleusement notre projet, car il nous permettra, la nuit venue, de fuir en terre française.
Il fait noir à présent, et nous nous préparons à ouvrir la brèche par laquelle nous retrouverons le chemin de la liberté. Auparavant, l’abbé Le Meur s’adresse à nous :
— Mes amis, ce soir, au lieu de réciter le Notre Père et le Je Vous Salue Marie comme nous le faisions à Compiègne, nous allons dire ensemble toute une dizaine de
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