Les sorciers du ciel
corps de ceux des transports. Trois orfèvres travaillent ici. On désinfecte d’abord les bijoux, on les trie et on les range. On enlève les pierres précieuses, ensuite on envoie les montures à la fonderie proprement dite. Les dents et les objets en or fournis chaque jour par les quatre crématoriums produisent, après la fonte, entre trente et trente-cinq kilos d’or pur.
— La fonte s’effectue dans un creuset en graphite d’un diamètre d’environ cinq centimètres. Le poids d’un cylindre en or est de cent quarante grammes. Je le sais exactement pour l’avoir pesé sur la balance de précision de la salle de dissection. Les médecins qui enlèvent les dents des cadavres avant l’incinération ne jettent pas tous les bridges dans le seau rempli d’acide sulfurique : une partie – plus ou moins importante selon la surveillance des gardes S.S. – va dans la poche des arracheurs de dents. La même chose se passe avec les bijoux ou les pierres précieuses cousus dans les vêtements ainsi qu’avec les monnaies en or laissées dans la salle de déshabillage. Là, ce sont ceux du Kommando chargés de dépouiller les bagages à main qui en profitent. C’est une opération excessivement dangereuse, il y va de leur vie, car les gardes S.S. sont partout présents et surveillent sévèrement les valeurs qui, désormais, appartiennent au III e Reich. Ils surveillent particulièrement l’or et les pierres précieuses.
— Au début, je ne savais comment apprécier juridiquement et moralement la façon dont le Sonderkommando se procurait de l’or. Mais après quelques jours, lorsque j’ai mieux fait connaissance avec la situation, j’ai compris que c’était bien le Sonderkommando qui devait être considéré comme héritier et propriétaire de plein droit des objets de valeur parvenus là. Les hommes du Sonderkommando remettaient également à la fonderie l’or ainsi procuré. Ils trouvaient le moyen de l’y faire parvenir malgré la plus stricte surveillance et de le reprendre ensuite sous forme de cylindres de cent quarante grammes. L’utilisation de l’or, c’est-à-dire son échange contre de la marchandise utile, était une opération plus difficile. Personne ne songeait ici à conserver de l’or, car chacun savait qu’il était mort-vivant avec un sursis de quatre mois. Mais, dans la situation où ils se trouvaient, quatre mois étaient excessivement longs. Être condamné à mort et effectuer un travail tel que celui qu’ils accomplissaient était une épreuve qui broyait le corps et l’âme et qui poussait plusieurs d’entre eux dans les abîmes de la folie. Il fallait rendre la vie plus facile et plus supportable, même pour ce bref délai. C’est avec l’or qu’on y parvenait.
— Ainsi l’unité d’échange est devenue le cylindre en or de cent quarante grammes. Dans la fonderie, il n’y a pas de creuset de graphite plus petit ; par conséquent, il n’y a pas de cylindre d’or plus petit non plus. Ici la valeur des objets achetés n’a aucune signification. Celui qui donne de l’or a déjà donné sa vie en entrant ici, tandis que celui qui donne quelque chose en échange de l’or joue deux fois sa vie. Une première fois quand, à travers les barrages de S.S. qui entourent le KZ et qui comportent quatre contrôles sévères et successifs, il introduit des articles difficiles à se procurer à l’extérieur, même avec des titres de rationnement ; la deuxième fois, lorsque, à travers ce même barrage, il fait sortir l’or pris en échange. Car, aussi bien dans un sens que dans l’autre, il y a la fouille.
— L’or s’en va dans la poche d’un homme du Sonderkommando jusqu’à la porte du crématorium. Là, un temps d’arrêt. L’homme du Sonderkommando s’approche du garde S.S. et échange quelques mots avec ce dernier. Celui-ci se retourne et s’éloigne de la porte. Sur la voie ferrée qui passe devant le crématorium travaille une équipe de vingt à vingt-cinq ouvriers polonais sous la conduite d’un chef. Sur un signe, le chef d’équipe arrive avec un sac plié et en échange prend l’or enveloppé de papier. Le sac a franchi la porte et se trouve à présent à l’intérieur du crématorium. Le lendemain, le chef d’équipe prend une nouvelle commande.
— L’homme du Sonderkommando entre dans la salle de garde qui se trouve près de la porte. Il sort d’un sac une centaine de cigarettes et une bouteille d’eau-de-vie. Le
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