Les sorciers du ciel
fur et à mesure que nous leur apprenons notre situation, l’amitié naît entre nous et eux. J’apprends qu’ils ont un aumônier. Je lui fais demander s’il pourrait m’envoyer des hosties consacrées. Deux jours plus tard, un breton, M. Byrien me tend en cachette une boîte d’allumettes en me disant : « Voilà, il y a trente hosties consacrées. » Je les gardai sur moi sans rien dire jusqu’à 9 heures. Après le casse-croûte, je réunis les cinq prêtres de mon équipe derrière la caisse à outils et leur dis : « Maintenant, je vais vous donner la Sainte-Communion. » Ils n’en croyaient pas leurs yeux en me voyant élever l’Hostie Sainte. Le silence qui régna ensuite me disait quelle devait être leur action de grâce. La nouvelle que j’avais des hosties se répandit très vite, et je dus faire des prodiges pour les fractionner. Chaque matin, dans mon équipe, en allant au travail, on récitait les prières de la messe, et on se communiait en marchant sous les yeux des S.S. qui n’y comprenaient rien. J’ai gardé ainsi la Sainte-Eucharistie plus d’un mois dans ma poche, la faisant renouveler par le fidèle Byrien.
— Nous décidâmes, les prêtres du Kommando, d’organiser une cérémonie religieuse le dimanche soir dans la salle des douches, seul lieu possible de réunion. Mais il fallait la permission du commandant du Kommando. L’abbé Pierre Arnaud, professeur d’allemand au collège Richelieu à La Roche-sur-Yon, fut désigné pour la demander. Après quelques démarches il fut admis dans le bureau du commandant. Celui-ci commença par se moquer de sa religion, lui opposant la science, le progrès, la race… L’abbé écouta dix minutes, puis se raidissant dans toute sa foi de vendéen : « Écoutez monsieur, j’ai laissé en France ma vieille maman, j’ai laissé trois frères prêtres, j’ai laissé ma patrie que j’aime ; eh bien je suis prêt à ne jamais les revoir s’il me fallait renier un seul article de mon Credo. » Devant une telle énergie et une telle foi, le commandant accorda la permission, et les réunions commencèrent (177) . Une chose m’a alors frappé : l’absence totale de respect humain. Dans les blocks, on entendait crier par des déportés, le dimanche soir : « Vous venez, c’est l’heure de la messe. » En fait de messe, on priait ensemble un long moment puis l’abbé Arnaud prêchait. Nous avions décidé, les prêtres, de lui laisser le service de la Parole. Il s’en acquittait avec une force et une adaptation remarquables. Après le Notre-Père, je remettais un petit morceau d’hostie consacrée à ceux qui voulaient communier, et chacun la consommait. Ce prêtre : l’abbé Arnaud a marqué ce Kommando. Il était véritablement assailli par tous, et pourtant toujours souriant. Il avait un grand ascendant sur tous et spécialement sur les prêtres. J’ai eu avec lui des entretiens qui m’ont révélé la grandeur du sacerdoce, quand il est vécu en plénitude, comme il le vivait lui-même. Comme il ne travaillait pas dans mon équipe, il venait chercher la communion près de mon lit, le soir, vers 23 heures. Un soir, après qu’il eût communié, je me rendormis. M’étant réveillé vers 2 heures du matin, je vis Pierre Arnaud encore à genoux, prolongeant son action de grâce. Peu de temps après il partit pour Housoum où il mourut d’épuisement.
— Le 29 septembre ce fut la première communion de Michel. Michel travaillait à la mine. Évadé de Compiègne, il avait demandé l’hospitalité à un curé des environs qui l’avait littéralement mis à la porte, le menaçant même de la police. Depuis ce jour, Michel ne pouvait pas voir les curés. Un jour il m’entendit dire : « Si jamais je retourne en France, je crois que mon premier geste sera d’embrasser la terre de France. » Le soir même il vint me trouver, me fit ses confidences… Pendant un mois, je le préparai à sa première communion. Il la fit sous mon lit à 10 heures du soir, le jour même de sa fête. À peine lui avais-je donné la Sainte Hostie qu’il se jeta à mon cou en disant : « Jamais je n’aurais cru que ma fête fût si belle. » Pauvre Michel, je l’ai laissé à Neuengamme.
— En rentrant à Neuengamme, j’emportai avec moi la boîte pleine d’hosties consacrées. Je pensais alors aux prêtres restés au camp, à M gr Bruno de Solages, et à d’autres camarades qui auraient été
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