Les sorciers du ciel
« sous-curaillons ». L’abbé Prabutzki destitué de sa fonction de Kapo transmit ses pouvoirs au père Ohnmacht (193) . Ce dernier s’empressa de cacher un autel portatif qui, le soir même, était enterré dans une serre des plantations. Sous cette serre un prêtre polonais devait célébrer, chaque jour, la messe :
— Pendant (194) que l’un d’eux assurait la garde et que les autres faisaient semblant de travailler, le prêtre polonais, le plus ancien dans le camp, s’agenouillait, tourné vers l’intérieur de la serre afin de donner l’impression qu’il arrachait de mauvaises herbes. Les veilleurs S.S. des miradors ne pouvaient rien imaginer d’anormal. D’autres prêtres, de l’herbe ou des plantes à la main, s’approchaient de la serre, s’agenouillaient. Le célébrant passait des hosties et ils se communiaient eux-mêmes.
CHAPITRE XIX
D’UN JOUR À L’AUTRE
Le 16 décembre 1941, l’abbé François Goldschmitt, curé-doyen de Rech-Sarralbe, épuisé par vingt-quatre heures de jeun absolu et de gymnastique d’incorporation est accueilli par Nicolas Muth, « l’ancien » du block d’arrivée :
— Toi, je devrais te foutre au troisième étage… Tu dois aimer la gymnastique !
L’abbé ne répond pas.
— Alors vieux cochon, planque-toi dans ce lit, à côté de ce Tchèque syphilitique…
Et d’un coup d’épaule, Muth bouscule le prêtre sur la paillasse. Son voisin se penche et lui souffle à l’oreille :
— Nous sommes ici dans un asile d’aliénés : bien pis, Dachau c’est l’enfer ! Défense de parler, mais laisse-moi te dire seulement que je suis prêtre catholique. Si tu es catholique, je vais te donner ma bénédiction. Récite avec recueillement un Pater. Restons de bons amis.
— Merci bien, je suis prêtre moi aussi, dans le diocèse de Metz…
— Benedictio Dei …
Muth hurle :
— Vos gueules ! Cochons de curés.
Les deux prêtres pleurent de joie.
Le lendemain, l’abbé Goldschmitt horrifié découvre qu’il ne sait pas « faire son lit »…
— Le stupide (195) montage des lits était une effrayante corvée pour les débutants. Un brave tyrolien m’en expliqua patiemment la théorie compliquée, et plusieurs jours de suite me démontra la pratique du « montage d’un lit réglementaire ». Les objets à manipuler étaient une paillasse, un polochon, un drap blanc (196) et une grossière couverture grise, telle que chez nous on en met sur le dos des bêtes. Cette couverture était traversée dans toute sa longueur par deux raies bleue et blanche, distantes de soixante centimètres. Les instruments indispensables au montage étaient les deux mains, un sens d’observation aigu, un bâton et deux planches lisses, munies de deux prises. La paillasse subissait le premier assaut : il fallait la transformer en une grande boîte à cigares rectangulaire, aux coins bien équarris. À travers la fente de la toile, le bâton se frayait un passage pour répartir la paille qui, la nuit, s’était aplatie ou disséminée. À l’aide des deux planches ensuite, on pressait, on frottait, on nivelait la malheureuse paillasse. Le drap devait être étendu sur la paillasse sans qu’il y parût l’ombre d’un pli.
— J’avoue que mes doigts n’ont jamais pu atteindre assez d’habileté pour border le drap sous la paillasse de façon à faire corps avec elle. Que de sueur d’angoisse cette opération délicate faisait-elle perler à mon front ! Toutes mes connaissances théologiques, philosophiques, ne m’étaient d’aucun secours. Lorsqu’à un bord j’avais réussi à éliminer tous les plis, voilà qu’à d’autres endroits apparaissaient de nouvelles irrégularités grimaçantes. Puis le polochon, bourré de varech, raide et anguleux, devait être placé au chevet du lit, exactement au milieu de la paillasse ; sa hauteur devait s’aligner minutieusement avec celles des lits voisins. Je me baissais alors, fermais un œil pour prendre d’enfilade toute la rangée de lits, je rectifiais de mes mains la position de l’oreiller jusqu’à ce qu’il eût trouvé, à mon sens, un alignement irréprochable. Pour finir, il restait à plier sur le parquet ou sur la table, la couverture grise, de façon à laisser paraître, tout juste encore, les deux raies blanche et bleue du bord. Délicatement, après l’avoir pliée, il fallait la rouler et en déposer l’extrémité à vingt centimètres
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