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Les sorciers du ciel

Les sorciers du ciel

Titel: Les sorciers du ciel Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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tête, embrasa la cervelle qui faisait éclater, me sembla-t-il, la boîte crânienne. On me traîna sur un banc. La peau de la poitrine et du bas-ventre, écarlate, se détachait en lambeaux. Un médecin S.S. m’ausculta, me railla à cause de mon épiderme trop délicat, prescrivit pour calmer mes brûlures une douche glacée d’une demi-heure. Un codétenu saisit un tuyau et m’arrosa d’un jet glacial. Il fallut l’intervention de nombreux camarades et de Muth lui-même pour faire cesser le supplice.
    — L’abbé Cordonnier, sur un autre banc, était la proie d’atroces brûlures. Comme les plaies m’empêchaient de m’asseoir, je me tins à ses côtés, debout sur mes jambes défaillantes, tordu, fourbu de douleur, taciturne. Une faim aiguë me rongeait les entrailles   ; 3 heures de l’après-midi venaient de sonner. À 6 heures du matin, nous avions bu notre jus et depuis plus rien. Vers 4 heures, nous regagnâmes, toujours aussi nus, endoloris et grelottants, notre block de quarantaine. Ici nous attendaient un poêle sans feu, une atmosphère empestée de gaz, irrespirable, la soupe de midi maigre et froide. En dépit de cette désolation s’élèvera bientôt le beau cantique   : « Douce nuit, sainte nuit… »
    — Dans nos foyers de la lointaine et chère Lorraine, on allumait en cet instant solennel les bougies de l’arbre de Noël… Cette nuit de Noël restera inoubliablement marquée dans ma mémoire. Impossible de m’étendre sur le dos, ou sur la poitrine, impossible de m’asseoir   : des brûlures partout. Pendant des heures interminables, je m’accotais sur le flanc du grabat ou je m’allongeais péniblement sur la paillasse, appuyé sur les coudes et sur les os de la hanche. Le sang collait à la chemise.
    — Nous les prêtres, nous avions demandé l’autorisation d’assister à la messe de Noël… en vain. En vain également l’espoir de pouvoir recevoir la Sainte-Communion, en secret. Notre block était trop sévèrement consigné. Dans mon abattement extrême, je suppliais l’ancien de chambrée de me faire interner à l’hôpital. Le brave Kopp m’en déconseilla formellement   : « Une piqûre vous enverrait infailliblement dans l’au-delà. »
    — Dans le fond de mon âme, je suppliai Dieu de me rappeler à lui. Pourquoi s’acharner à continuer une existence à ce point lamentable   ? Lors d’un appel j’appuyais mon bras sur les épaules d’un confrère. J’étais à bout de forces, incapable de toute énergie, de toute pensée. Ce même confrère m’a raconté ultérieurement que, dans mon inconscience et dans mon égarement, j’aurais murmuré, tout bas   : « Je vais mettre un terme à cette vie. »
    — Les plaies qui rongeaient mon bas-ventre surtout me torturaient affreusement   : elles resteront incurables. Deux de mes camarades ont payé de leur vie ce procédé abominable de désinfection. L’un, un nommé Stahl, était père de cinq enfants. La vue de son cadavre m’avait horrifié, anéanti. Mais un autre décès devait m’ébranler davantage encore. Mon voisin de lit, l’abbé Cordonnier, geignait sourdement.
    — Un confrère du block 26 réussit à me faire parvenir les saintes espèces et les saintes huiles. Le 6 janvier, si je ne m’abuse, l’abbé Cordonnier agonisait. J’étais bouleversé, je ne quittais pas son chevet. – « Oh   ! que j’ai soif   ! râlait le moribond, exténué. » J’ai quémandé une pomme   ; il ne pouvait plus l’avaler, je l’écrasais donc en bouillie, que j’étendis sur la langue du mourant… Une dernière bénédiction. « Au revoir, là-haut, au Ciel   ! »
    — Ce furent ses dernières paroles. Le lendemain, le bon prêtre nous avait quittés pour toujours. Quelques semaines plus tard, nous célébrâmes dans notre chapelle un service pour le repos de son âme. J’eus le douloureux honneur de prononcer quelques mots d’oraison funèbre.
    — C’était ma première fête de Noël à Dachau. Elle gardera à jamais l’empreinte d’une tristesse infinie.

 
     
    Le 24 juin 1942, le père de Conninck est admis dans le block « d’invalides »   :
    — Je voyais (198) autour de moi emporter mes compagnons par dizaines. J’assistais à des assassinats raffinés, sans aucun recours possible ni aucun moyen de défense. Mais je possédais l’Eucharistie… On me la passait dans des mouchoirs, dans des petits papiers pliés. Un cher disparu, l’abbé

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