Les sorciers du ciel

devant le block 26. Il reconnaît le père Mruck.
    — Que se passe-t-il   ?
    — On nous installe une chapelle   ?
    — Allons   ! encore un bobard.
    — Non   ! Non   ! Regardez   ! Les Polonais transportent les panneaux qui séparent le dortoir du réfectoire au block 29…
    — Allons les aider.
    Le soir même le sanctuaire – un rectangle de vingt mètres sur dix, – était prêt.
    Le Kapo H… lança   :
    — Allez la prétaille, vous pouvez aller rigoler   !
    Il fallut six jours à l’abbé Pfanzelt (de Dachau-ville) pour faire parvenir par des voies officielles, au doyen des prêtres déportés, Paul Prabutzki, des hosties et du vin de messe. Le 21 janvier, devant trois cent cinquante prêtres, l’abbé Prabutzki célébrait la première messe de la chapelle de Dachau   :
    — Pauvre chapelle (189)   ! L’autel se composait de deux tables que l’on avait rapprochées. Elles furent recouvertes de draps de lit. Un petit crucifix, un livre de messe de poche, un calice miniature, deux chandeliers et deux minuscules bougies… c’était tout.
    — Au début (190) la Sainte-Messe ne pouvait être dite qu’une fois par jour, avant l’appel du matin, et toujours par le même prêtre, un ancien aumônier militaire polonais (l’abbé Prabutzki) investi Kapo de la chapelle par la direction du camp. Les prêtres assistaient et priaient à mi-voix avec le célébrant. Chacun tenait à la main une petite hostie et communiait de sa propre main. Les offices solennels restaient prohibés, ainsi que toute activité religieuse en dehors de la chapelle. De jour, il était interdit de pénétrer dans la chapelle. Au début, un S.S. se tenait constamment à côté de l’autel improvisé, coiffé de son bonnet, une cigarette au bec.
    Les S.S. multiplièrent les « incidents ». L’un d’eux, après la consécration, s’empara de l’hostie et se retournant vers les prêtres   :
    — Ce truc-là c’est votre Dieu   ? Qu’il vous délivre   !
    Il piétina l’hostie.
    — Tout cela c’est de la folie   ! Du charlatanisme pur. Vous êtes des sorciers…
    Un autre, dans la même semaine, monta sur l’autel et urina…
    Au mois de mars, à la surprise générale, le commandant Hoffmann dispense tous les ecclésiastiques du travail en Kommando (191) et annonce au « doyen » que le vin de messe sera désormais fourni par le Vatican.
    Les sept ou huit premières « livraisons » furent distribuées d’une manière tout à fait spéciale.
    Un commandement résonne dans la chambre   :
    — À la corvée de vin   !
    Aussitôt une vingtaine de déportés se précipitent à la grille du block où le vin a été apporté par voiture. Ils se chargent de bouteilles. Entre-temps, les autres prêtres s’installent à table, leur gobelet en main. Un S.S. s’informe   :
    — Les curaillons sont-ils prêts à boire   ?
    L’ancien de chambrée se dresse   :
    — Prêts monsieur le lieutenant   !
    — Très bien   ! débouchez les bouteilles.
    Il lance sur la table deux tire-bouchons.
    — Et que ça saute   !
    Des coups de matraque sanctionnent les briseurs de bouchons, les traînards.
    — Distribuez   !
    Les « quarts » se remplissent. Une bouteille pour trois. Le S.S. monte sur un escabeau. Nouveau commandement   :
    — Videz   ! Cul sec   !
    Les prêtres sont à jeun et pour tous cette « gratification » est un véritable supplice.
    — Terminé   ? Retournez les quarts sur votre tête, tas d’ivrognes   !
    Parfois le S.S. fait recommencer la distribution.
    — Au rab   !
    *
    Le 18 octobre 1941, le commandant Hoffman s’adresse aux prêtres rassemblés… insulte le Pape, les évêques, les « cochons de curés » et ordonne   :
    — Les Allemands d’un côté, les Polonais de l’autre…
    Les prêtres hollandais, luxembourgeois, belges, se placent aux côtés des Polonais (192) .
    —   Très bien   ! Finis les privilèges. La chapelle sera réservée aux seuls prêtres allemands. Eux seuls auront le droit au vin et à la sieste de l’après-midi. Ils seront exclus des transferts.
    Les Allemands réintègrent le block 26, rapidement isolé par une ceinture de barbelés. Toutes les vitres furent recouvertes d’une épaisse peinture blanche afin d’interdire aux « autres » la « vision » de la chapelle.
    Les « autres » s’installèrent au block 28 et les S.S. confisquèrent les bréviaires, les chapelets, les objets du culte des