Les sorciers du ciel
Wampach, un Luxembourgeois, était parmi ceux qui avaient la corvée du ravitaillement : en allant chercher les lourds chaudrons il rencontrait un prêtre du block 26 qui lui confiait le précieux dépôt ; deux ou trois particules. Je profitais de la sieste de midi, ou victimes et tortionnaires dormaient allongés sur le sol, pour couper dans le fond de ma casquette les particules en petites parcelles. Je parvenais ainsi à faire soixante parcelles avec trois hosties : chacune coupée aux ciseaux en quatre, et chaque quart en cinq fragments. J’enveloppais chacun des fragments dans un papier à cigarettes et conservais la Sainte Réserve dans mon étui à lunettes. J’étais ainsi nuit et jour un tabernacle vivant.
— Combien de candidats à la mort n’ai-je pas ainsi pourvu du viatique ! Deux exemples seulement qui m’émeuvent encore. Je vis un jour à ma table, pendant le repas du soir, un vieux prêtre polonais agoniser. Or, il n’y avait aucune possibilité pour les « invalides » d’entrer au Revier. Je me glissais à côté de lui pour lui dire que j’avais le grand réconfort ! Quel regard m’accueillit ! Ses mains mourantes enserrèrent mes mains : il se confessa… il communia… le lendemain matin, on emportait son cadavre au crématoire. Puis ce dimanche de juillet, où partit le premier convoi de la mort. Parmi les victimes désignées, trois amis : l’abbé Esch (199) , le père Dembrowski (200) et l’abbé de Backer (201) . Quelle consternation quand l’atroce liste fut proclamée.
— J’avais pris l’habitude de réunir tous les jours quelques prêtres pour réciter les prières de la messe, ma mémoire était fraîche : eux, exténués de privations et de faim, l’avaient fort affaiblie. Je choisis pour ce jour, la messe de la Sainte-Trinité. Il me restait encore trois particules que je tenais en réserve pour la fête de saint Ignace. Évidemment à la communion de la messe, je les donnai aux trois qui allaient consommer leur sacrifice… Ils partirent… mieux que résignés… J’ai tout lieu de croire, d’après mes renseignements, qu’une heure après leur départ, ils étaient arrivés dans cette « vita aeterna » que leur garantissait le Viatique.
— Atteint du typhus, je partis pour l’infirmerie. Les premiers jours de la maladie n’ont laissé en moi que des souvenirs confus. Un matin, comme j’étais encore un peu abruti de fièvre, je vis, près de moi, un autre confrère malade qui m’apportait la communion. Oh ! la sainte et délicieuse surprise… ne peut la comprendre que celui qui, malade aussi, ne recevrait aucune visite, aucune marque de sympathie, n’entendrait aucune autre parole que celle-ci : « Votre cas est clair : demain le crématoire ! » Et voilà l’hostie qui surgit. Je compris alors la communion des malades. L’abbé Sheipers, déjà convalescent, se dévouait à chercher dans les chambres les confrères et les chrétiens à aider. Il m’a raconté comment un jour, portant en se dissimulant tant qu’il pouvait, la communion à un malade, tout à coup un homme qu’il croyait moribond, tourna la tête, vit le geste et comme ressuscité, tendant les deux mains, lui dit avec une intense passion : « Oh ! monsieur l’abbé, à moi aussi… la communion ! »
— Quand je fus convalescent on me confia la garde du Saint-Sacrement. Je l’avais dissimulé dans un coin de colis de vivres, arrangé avec des cartons et des mouchoirs blancs en tabernacle. Mes insomnies devenaient ainsi des heures d’adoration nocturne. Pâques vint. Je ne fis aucune propagande pascale mais de jeunes Belges vinrent se confesser et réclamer le sacrement pascal. Que d’histoires émouvantes ! Voici un jeune gars… Il est un peu gêné… il veut de l’aide… il y a si longtemps. Il me demande si je ne peux pas lui écrire les péchés et les prières sur un morceau de papier. Vous pensez bien que ce fut fait. Après la confession il me demande s’il peut m’amener un camarade… Ce sera plus difficile… il ne s’est encore jamais confessé, il n’a pas fait sa première communion. Bien sûr qu’il l’amène ! Et me voici catéchiste. Le Jeudi-Saint, je suis cloué au lit par un terrible lumbago. On prévient mes deux amis que, malade, je ne pourrai donner ma leçon… Désolation… Ils viennent quand même, l’air si suppliant. Et malgré la torture – c’en était une –
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