Les sorciers du ciel
prêtre lorrain m’a remis quelques hosties. Si vous avez quelques gars qui veulent communier, je vais partager.
— Oh oui ! avec joie.
Il sort de sa poche une boîte de cirage qui contenait le précieux dépôt. Puis, montés à l’étage des « lits » où nous sommes enfoncés comme dans des cages à lapins, je me tourne vers le jeune Gaby qui partage ma paillasse :
— J’ai le bon Dieu ! L’Eucharistie sur moi. Veux-tu la recevoir ?
— Oui monsieur l’abbé. Demain matin avant le lever.
Et pendant quelques instants, Gaby prie avec moi, à l’insu des voisins… si près. La nuit fut courte, mais si belle avec une présence divine que nous n’avons jamais sentie aussi vivante…
— C’est le moment, Gaby ! dis-je en le secouant.
— Oui… Confessez-moi.
Bouleversante confession, tête contre tête, dans le silence de la chambrée où seuls se faisaient entendre quelques ronflements… Ce fut sa dernière communion, bien plus fervente que la première sans doute. Il ne reviendra pas du camp de Flossenburg : il avait vingt ans.
*
— Elle veut faire ses Pâques !
— Quoi ? Une fille du bordel !
— Oui du bordel ! Ils viennent de le faire évacuer. C’est une femme de Nancy. Et alors si elle veut faire ses Pâques.
Une dizaine de prêtres se réunissent.
— Elle veut communier.
— Bon ! Discutons. Peut-on lui apporter la Sainte-Communion ?
Le premier :
— Elle est en état « prochain » de péché et par conséquent on ne peut lui donner l’absolution.
Le second :
— Elle a fait « ça », en état de contrainte. Elle n’en est vraiment pas responsable…
Le troisième :
— Nous avons appris en théologie qu’on doit défendre sa pureté jusqu’à la mort.
Et l’on recommence : le premier, le second, le troisième… un quatrième interrompt la discussion :
— Bon ça suffit ! Pendant que vous palabriez, je suis allé là-bas… Je lui ai donné l’absolution et la communion. Où en étiez-vous (213) ?
*
Dans le défilé des nouveaux arrivants, Edmond Michelet remarque un vieux prêtre. Il boîte. Il est presque chauve…
Dans la cohue (214) de l’invasion, il avait pu conserver une petite valise contenant une chapelle portative, du modèle de celles qu’on distribuait aux aumôniers militaires. C’était effectivement celle qu’il avait ramenée de l’autre guerre et à laquelle, pour cette raison, il tenait comme à la prunelle de ses yeux. Cette chapelle faillit lui coûter la vie.
Avec la paisible tranquillité du juste qui ne craint personne excepté Dieu, l’abbé Goutaudier, curé d’une petite paroisse du Charolais, s’avisa en effet, le lendemain du jour de son arrivée, de célébrer la messe entre deux rangées de paillasses, dans le fond du block. Il faut avoir été déporté pour réaliser l’audace ou l’inconscience de cette performance. Ce fut pourtant assez discret puisque Ludwig, le Stubealtester des brigades internationales, ne s’en aperçut qu’au moment où, le sacrifice achevé, il quittait ses ornements.
— Tes Français sont fous, me dit-il en dirigeant son index vers la tempe, d’un geste en vrille que je connaissais bien (ce n’était pas la première fois qu’on nous traitait ainsi de loufoques). Dis à ton Pfarrer que si un S.S. apprend ce qui vient de se passer, je suis bon pour le crématoire. Explique-lui que nous ne sommes pas ici dans un couvent…
J’essayai donc de faire admettre à l’abbé Goutaudier qu’il y avait effectivement quelque risque à se livrer, dans les nouvelles circonstances de lieu et de temps où il se trouvait, à pareille manifestation extérieure du culte.
— Attendez d’être muté au block 26, lui dis-je.
Il fit semblant de l’admettre. Le lendemain matin, néanmoins, il récidiva. Je me souviens que la messe, ce jour-là, lui était servie par un de ses jeunes compatriotes du nom de Michel Fonfrède qui s’efforçait de dissimuler le délit en se camouflant derrière la pile de paillasses. Le Stubealtester ne m’ayant pas fait d’autre observation, je pensai qu’il se résignait à tolérer l’inévitable.
— Eh bien ! me dis-je, cette désinvolture est bon signe. Décidément, la fin approche.
C’est alors que, mine de rien, un infirmier du Revier survint dans le block pour procéder à un examen du crachat des nouveaux venus. Comme ils étaient trop nombreux, il fit un tri, au jugé
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